Après avoir reçu un César pour De son vivant et en attendant Le Pot-au-feu de Dodin Bouffant, le nouveau Trân Anh Hùng, Benoît Magimel fait un arrêt presque inattendu chez Quentin Dupieux avec Incroyable mais vrai. Il y incarne un « beauf » truculent, amateur de femmes, de flingues et de voitures de luxe. Sans pour autant empêcher son interprète de rester en interview d’un sérieux élégant.
Après De son vivant, rôle tragique qui vous a valu un César, vous fallait-il « respirer » un peu ? D’où Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux…
Je suis un fan de Louis de Funès, de Pierre Richard. Ils n’étaient pas très jeunes quand ça a vraiment fonctionné pour eux. Je me suis toujours dit que pour incarner un personnage de comédie, il fallait du vécu, une patine. Quentin Dupieux, je l’avais rencontré il y a quinze ans. Il venait de voir un film de Claude Chabrol, La Fille coupée en deux. À l’époque, il avait perçu quelque chose chez moi qui l’intéressait. Il me l’a avoué quand on s’est retrouvé des années plus tard. C’était après De son vivant. Je crois qu’à un moment, il a eu peur que je sois trop investi dans le film d’Emmanuelle Bercot pour être fin prêt pour le sien.
C’est vrai qu’il y a une transformation physique entre les deux films…
Oui, il a fallu reprendre quelques kilos rapidement. Mais quand on a un scénario aussi formidable que le sien et une partition comme celle du personnage de Gérard, c’est un défi forcément intéressant. Il y a une vraie humanité dans ce rôle-là. Et puis, Incroyable mais vrai parle d’avenir, de comportements, de ce qui sera peut-être techniquement possible de faire demain. Ainsi que d’une belle histoire d’amitié avec son pote joué par Alain Chabat.
De qui s’inspire-t-on pour incarner un homme pareil, obsédé par la performance, les Jaguar et les femmes ?
Je me suis rappelé, plus jeune, avoir tourné un court-métrage dans lequel je jouais déjà un type qui lui ressemblait. Les acteurs, nous avons tous des tiroirs dans lesquels retourner puiser. Il y a des personnages déjà créés, avec des couleurs souvent différentes, mais que nous ressortons parce qu’ils correspondent de nouveau à quelque chose. Il y a aussi un peu d’inconscient dans tout ça.
Gary Oldman avait refusé de prendre du poids pour incarner Churchill dans Les Heures sombres. Maigrir, grossir, se métamorphoser pour un rôle, c’est aussi se faire violence. Benicio del Toro était sorti égratigné de ses excès pour Las Vegas Parano de Terry Gilliam…
Quand j’étais plus jeune, j’étais incapable de prendre de la masse. On m’avait proposé le rôle de Mesrine, au moment où Vincent Cassel s’était un temps désisté. Pour moi, c’était impossible. J’étais sec. C’était ma nature. Je faisais beaucoup de sport à l’époque. Je prenais des protéines pour essayer de m’épaissir, mais ça ne fonctionnait pas. Arrivé à la fin de la trentaine, mon corps a évolué. J’ai pu prendre du poids. C’est intéressant mais dangereux malgré tout. Gary Oldman a entièrement raison. À partir d’un certain âge, ça devient extrêmement compliqué de faire le yo-yo. Je suis monté à 106 kilos pour La Douleur d’Emmanuel Finkiel. Pour redescendre, ça a été difficile. Au début, c’est marrant. Vous vous sentez lourd, plus massif, charismatique. Comme impavide.
Pour De son vivant, vous étiez retombé très bas…
J’ai dû faire trois régimes successifs pour le film de Bercot. J’avais perdu une vingtaine de kilos. Au point que Quentin Dupieux a cru que jamais je ne pourrais reprendre le poids qu’il voulait pour le personnage de Gérard. Finalement, ça n’a pas été aussi difficile que ça. Mon corps se souvenait de mes prises de kilos. Ensuite, on m’en a voulu. C’est vrai que c’est un enfer. Tout vous semble déréglé. Votre vie se concentre sur votre perte de poids. Je n’ai plus envie de ça. Ça m’a rappelé une phrase de Marlon Brando : « On pardonne tout aux acteurs. Sauf de grossir. »
Peut-on parler de « performance » ?
La performance, c’est surtout d’être crédible. Il faut avoir les jetons. Être comme il faut pour que le public croit en votre histoire. Quentin voyait le personnage de Gérard comme ça : un jouisseur, avec une bedaine.
Comment expliquez-vous l’attrait des acteurs français pour son univers ?
Parce qu’il leur propose des partitions dont ils n’ont pas l’habitude. Des métamorphoses, des transformations, des personnages exubérants, décalés. Et puis, beaucoup d’acteurs veulent s’exercer dans un registre différent. Leur drame, c’est de se voir proposer toujours le même style de rôle. J’ai compris ça très tôt. Tout le monde n’a pas non plus une imagination débordante…
Siri, Chabrol, Haneke, Bercot, Dupieux… Vous êtes un acteur verni…
C’est vrai que j’ai eu de la chance de rencontrer des gens dont, par la sensibilité, je me suis toujours senti proche. Il n’y a rien de mieux que d’être appelé. C’est valorisant. Claude Chabrol, deux mois avant qu’il ne me contacte, je me disais : « Il fait chier, celui-là. Il ne fait bosser que des vieux… » Et puis, il me propose un film. Nous en avons fait trois ensembles et nous aurions continué s’il n’était pas parti si vite. Florent Emilio Siri, ça a été une rencontre essentielle. Olivier Dahan aussi. Un rôle en appelle un autre. Nous sommes des mômes, nous, les acteurs. On a toujours envie de se costumer, de s’amuser. Je me souviens du tournage du Roi Danse. Je me suis régalé. Vous arrivez dans une église où 400 personnes s’agenouillent devant vous. Vous êtes Louis XIV. Plus personne pour vous prendre la tête. Vous êtes le monarque. Vous êtes Dieu !
De quoi perdre un certain sens des réalités…
Non, parce que vous n’êtes Louis XIV qu’une fois endossé la perruque et le costume. C’est seulement à partir de là. Une fois rentré chez vous, vous ne l’êtes plus. À moins que vous ne gardiez votre accoutrement. Je me souviens des affiches dans Paris. Avec ma gueule en or. Ça me rendait quand même heureux.
Un César du meilleur acteur dans la poche, se sent-on hors de danger ?
Récompense ou pas, les films sont là. Le plaisir de jouer aussi, toujours. Et puis, il y a les rôles, une bénédiction. Alors, le César, c’est la cerise sur le gâteau. Vous recevez un prix de la profession, une reconnaissance. À l’âge que j’ai, vous vous dites que vous le méritez et vous le prenez. J’ai fait mon travail et je peux en être fier. Être heureux, encore une fois, tout simplement. « Meilleur acteur », au fond, vous ne le restez jamais que jusqu’au mois de février suivant…
Pouvez-vous traduire ce que vous avez ressenti au moment d’entendre votre nom ?
Du bonheur, franchement. Là encore, ce sont des souvenirs de gosse. Louis de Funès qui recevait un César d’honneur pour sa carrière. J’ai grandi avec cette cérémonie, ces acteurs prestigieux. Je la regardais tous les ans. Et puis, tout d’un coup, ça tombe sur vous. Merveilleux ! Le prix à Cannes, c’était incroyable aussi. Mais je l’ai reçu comme un encouragement. Quelque chose que vous prenez du bout des doigts, à se demander si vous le méritez. Sans être vraiment sûr. Le César, ça m’a rappelé lorsque je tournais avec certains acteurs. Comme Annie Girardot, Jean Rochefort, Gérard Depardieu… Il y a toujours une voix en moi qui me ramène au môme que j’étais, à traîner toujours un peu…
Et lorsque vous recroisez le « môme » Magimel sur un écran, à quoi pensez-vous ?
Très jeune, je n’aimais pas du tout ma tête. Là, je me dis : « Tu avais quand même une bonne tête ! » Aujourd’hui, je suis peut-être moins bien. Finalement, c’est comme si c’était quelqu’un d’autre. Une distance s’est créée. Quelque chose de très abstrait.
Un souvenir particulier de cette époque ?
J’avais fait le casting de Mon père, ce héros avec Gérard Depardieu. Pour le rôle du petit ami de Marie Gillain qui se faisait quelque peu malmener. Je ne voulais pas me prendre des baffes par Depardieu ! Je me disais que si un jour je devais jouer avec lui, ce serait d’homme à homme. Pas un rôle de baltringue. On me l’a proposé mais je n’en ai pas voulu. J’avais 16 ans. C’est aussi ça, ce métier. Savoir ce dont vous avez envie à un moment donné. On m’a aussi proposé d’incarner Tintin. Là, j’ai tout de suite pensé : « Au prochain casting, les mecs te diront : « Tiens, voilà Tintin ! » ».
Comment expliquez-vous avoir vrillé à un moment de votre vie ?
Des choses personnelles. La profession n’a rien à voir. Il y a des gens qui fantasment toujours : le cinéma, sa mauvaise influence… C’est faux. C’est ce que j’ai fait, moi. Mes choix. Des erreurs. On vit des échecs, des ruptures, on voit des gens disparaître autour de soi… Plein de choses. C’est une valise qu’on porte avec soi, des failles, des fragilités qui remontent. C’est déjà en vous. Depuis très longtemps. J’étais conscient de tout. Mais c’était comme ça. J’y suis allé. Sans peur. Ensuite, il a fallu retrouver à nouveau l’envie.
Quelle envie ?
De vivre, de faire, d’accomplir. Fondamentalement, j’ai compris que ce métier, je l’avais en moi depuis l’enfance. Ça a pris du temps. C’est une course de fond. Ce n’est pas le cinéma qui est difficile, c’est la vie. Le cinéma, ce n’est pas une conséquence. Je me demande aujourd’hui si c’est bon de commencer gamin, si c’est une bonne chose. Ça dépend de comment vous êtes forgé, de ce que vous êtes fait, de votre volonté. Parfois, quand vous n’êtes pas bien armé, c’est difficile d’aborder ce métier, de vaincre ses peurs. Arriver devant une caméra, ça peut être terrorisant. Difficile de trouver une liberté là-dedans. Et moi, je voulais être libre.
Quelques mots sur le Trân Anh Hùng que vous êtes en train de terminer ?
C’est l’histoire d’un gastronome qui cuisine, qui fait des recettes, de sa recherche constante du bon goût, de l’association des mets. Un homme en quête d’équilibre et qui aime la vie. Et surtout, un homme amoureux. C’est très beau, très poétique.
Que vous reste-t-il à accomplir ?
Continuer à prendre du plaisir dans ce que je fais. Après un certain nombre de films, vous n’avez plus envie de vous emmerder. J’ai eu la chance de ne jamais tenir de rôles qui me rebutaient. Aujourd’hui, j’ai envie de tourner avec des gens que j’aime. Il n’y a rien de mieux. J’ai envie de croire un peu plus en l’homme. De nouer de vraies relations. Et d’éviter les cons. Il y en a beaucoup.
Mais les jeunes réalisateurs risquent à leur tour de penser : « Il fait chier, celui-là. Il ne tourne qu’avec des vieux ! » …
J’ai fait plein de premiers films. C’est une question de rencontres. Là, je pars tourner en Algérie celui d’un jeune mec rencontré il y a deux ans. J’ai accepté sans lire le scénario parce que j’avais aimé le garçon. Une fois lu l’histoire, je n’étais pas content. Je trouvé que ce n’était pas assez écrit. Ils ont beaucoup retravaillé. Et je me suis aussi beaucoup accroché. C’est un projet que j’aime bien. Je ne peux pas lâcher ce môme. C’est comme pour Emmanuelle Bercot. Le rôle dans La Tête haute, je l’ai accepté après qu’elle m’en aie parlé. Rien que par ses mots, j’étais déjà touché.
Incroyable Mais Vrai de Quentin Dupieux avec Alain Chabat, Léa Drucker, Benoît Magimel, Anaïs Demoustier… Sortie le 15 juin.
Publié dans Edgar numéro 106
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
Contact Twitter