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David Toutain, le paysage et son goût

Solide normand de l’Orne, ce chef éclairé démontre l’importance du végétal pour aller à l’essentiel du goût. Son restaurant parisien deux étoiles au Michelin, rue Surcouf, assouvit un besoin d’évasion qui se retrouve dans des saveurs minimalistes et la parfaite cuisson. Ici, on abolit les codes dans une cuisine de l’instant !

Certains ont connu ce chef à l’âme inconventionnelle chez l’Agapé Substance, d’autres avaient décelé très tôt son amour de l’épure chez Marc Veyrat (qui l’initie aux saveurs amères et aux acidités poussées à l’extrême) ou à l’Arpège aux cotés d’Alain Passard. Quelques gourmets-voyageurs avaient senti sa fabuleuse fibre créative chez Feuille à Hong Kong. Les prémices de sa vision, « faite de goûts, de produits et d’associations » se feront également auprès de Pierre Gagnaire et de Bernard Pacaud sans oublier Luis Aduriz un autre phare dans le parcours de ce « corsaire » normand amoureux éperdu de sa région natale. Les Etats-Unis seront une autre vraie étincelle dans une « carrière » faite d’une grande modestie et se jouant tous les jours sur la même scène. On sait, rappelons-le, que son potager normand en permaculture indique une éthique marquée par la biodiversité et la durabilité (l’établissement a reçu, à ce titre, une étoile verte au Michelin) sans perdre la fougue que l’on vient chercher au 29, rue Surcouf un soir d’octobre…

A notre arrivée, c’est le jeune directeur de salle Guillaume Nicolas, vrai gentleman passé un temps par le Belon à Hong Kong, qui nous accueille et nous ravit par son énergie et son professionnalisme. On débute la « folle » dégustation, dans son intitulé d’automne : l’éloge du goût intense et brut. L’instant du « Bout des Doigts » en dit long sur les traits de caractère du chef qui se révèle être un cuisinier à l’âme amoureuse de peintre tant ses compositions convoque le paysage. Son salsifi, maftoul, panais nous emmène illico en balade. La papille poursuit son réveil avec la moule, courge, safran. On se dit alors qu’il y aurait presque comme une sorte de filiation entre le génie d’un Bruno Verjus, la maestria de Jérôme Banctel et le brio de David Toutain. Tous les trois couronnés en deux étoiles, à ce jour, au Michelin. Quand survient l’huître, échalote, framboise un évident plaisir nous entraîne de nouveau. L’araignée de mer, l’amanite de césars et acacia nous ouvrent officiellement l’appétit. L’assiette est servie avec entrain et cela nous plait. Quand arrive le ravissant œuf de caille, maïs et carvi on sait que cette adresse écoute, dans une excellence gastronomique, le tempérament des produits qu’elle traite comme les acteurs de notre plaisir. Seule la qualité oblige.

Aussi savant qu’accessible, Alexandre Morlier, chef sommelier (ayant fait ses armes au Crillon du temps de Jean-François Piège, auprès de Yannick Alléno avec la réouverture de la Maison Prunier, à l’Ecole Ducasse de Meudon entre 2020 et 2022 et au Bristol avec Eric Fréchon) se fait porte-parole des caves et des fourneaux avec quelques pépites qui nous mettent en condition : un sublime vin d’Arbois 100% chardonnay du domaine de la Tournelle d’Evelyne et Pascal Clairet qui contre-balance l’acidité du choux. Bien vu. On plonge à cœur perdu dans la valse de la sériole, du choux pointu et de la menthe pour mieux entendre le souffle marin des coquillages, oignons et coins.

Des saveurs en bouche qui n’en finissent pas.

Un élégant Vouvray sec 2019 de Benjamin Serer (vendange mécanique, pas d’intrants, levures indigènes, 3 grammes de sucres résiduel) libère le pouvoir salvateur des chenins. On progresse dans une déambulation gustative avec des plats impossibles à oublier : caviar, choux-fleur-volaille ou encore cèpe, châtaigne, savagnin. Dans l’assiette nul décorum et rien d’anecdotique. L’équipe en salle libère ses plus belles attentions dans un sourire sincère et contagieux. Les saveurs en bouche n’en finissent pas de conter le récit d’une terre nourricière aussi généreuse que fantasmagorique. Ici, cuisine, salle et sommellerie travaillent ensemble. L’orchestration est un glorieux sans-faute. Dans des moments consécutifs d’émotion, nous sommes bouleversés par la magistral langoustine, pamplemousse, sapin douglas qui laisse place au princier lièvre, cacao, pomme de terre. Légèrement tannique, l’appellation Mondeuse Les Granges Tissot de Denis et Didier Berthollier, avec ses arômes de sous-bois et sa robe pourpre aux reflets violines lui confère une fabuleuse précision. Un petit ravissement. Les trois dernières séquences, qu’on se le dise franchement,  ont tout de l’apothéose.

L’époustouflante anguille, sésame noir, gastrique chavire les sens tandis que les girolles, terre, chasselas percutent la rétine alléchée. Enfin, l’inoubliable bleu d’Auvergne, poire, quinoa nous fait cheminer dans les méandres de l’inspiration intérieure du chef. Coté vins, on est conquis par le mythique Récit Blanc et ses trois grenaches (gris, noir, blanc) qui nous projettent dans le puissant Vaucluse en Ardèche. Le palais n’est pas écrasé, c’est simplement magique. Aux premières loges, on échange avec le sommelier qui nous réserve cette autre surprise de taille et un sublime instant sous la majesté d’un grand  pauillac : la nouvelle cuvée, Anseillan de Lafite Rothschild issue d’un parcellaire dédié. Le 2015 tendant sur ses notes de cassis et de cerise. A l’heure du dessert répondant au nom d’ « Instant T.. », accueillant les subtiles citron, huile d’olive, mertensia, le churros-topinambour et le savoureux oréo-vanille-ail noir, on se dit dans notre for intérieur que cette adresse s’autorise tout car animée par le grand cœur débonnaire, l’excellence culinaire et la passion de la transmission. A l’image de ce livre intitulé « A table avec le Paris Saint-Germain » : ouvrage inédit du chef, qui paraîtra le 9 novembre prochain, et qui met en avant les recettes de cuisine préférées des joueurs emblématiques du Club : « Pour moi, ce livre est une remise en question : une approche qui tourne autour de l’équilibre, tout en faisant correspondre les saveurs entre elles. Pour le consommateur, au-delà du côté sportif et joueur de foot, il va toujours avoir quelque chose à apprendre d’une recette de ce livre : des astuces, une pertinence, mais aussi le côté cuisine internationale. C’était stimulant d’effectuer des recherches sur le produit, sur le plat emblématique d’une région ou d’un pays, tout en le transformant un tout petit peu. » nous confie cet as des fourneaux à l’âme généreuse de paysan, qui s’évertue de faire de chaque moment passé à sa table un souvenir heureux ! www.davidtoutain.com