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Bertrand Noeureuil, son Aquitaine sous les étoiles

A la tête de l’Observatoire du Gabriel à Bordeaux, ce chef accompli a gravi tous les échelons de la gastronomie française. Dans le cercle très fermé des établissements deux étoiles, il livre une signature où une créativité haute couture chuchote affectueusement à l’oreille des saisons. Exceptionnel !

Place de la Bourse, Le Gabriel, tel un nid d’aigle, offre l’une des plus belles vues plongeantes sur la Fontaine des Trois Grâces. Au coeur de cette noble bâtisse, acquise en 2019 par la famille de Boüard de Laforest (propriétaire de Château Angelus à Saint-Emilion), le temps s’arrête face à la Garonne et l’impassible miroir d’eau. C’est au 2ème étage que tout se joue et que quelques privilégiés découvrent la fascinante partition culinaire de Bertrand Noeureuil à la table étoilée de l’Observatoire du Gabriel. Certains viennent de loin pour goûter à son interprétation fantasmée de l’Aquitaine. Cet homme bibliophile et collectionneur d’ouvrages rares de cuisine (Dans sa bibliothèque personnelle, figurent une édition d’Escoffier datée de 1907 et « la Cuisine Cousue-Main » parue en 1972 aux éditions Christian Dior), a d’abord fait ses armes auprès de Daniel Gonzalez et David Biasibetti au restaurant ô Saveurs à Rouffiac-Tolosan avant d’acquérir les fondamentaux de la technique aux cotés de Yannick Alléno au 1947 à Cheval Blanc Courchevel. Viendra ensuite la Vague d’Or à Cheval Blanc Saint-Tropez, une étape importante avant d’intégrer Plénitude en qualité de chef adjoint. C’est là que nait la filiation avec son mentor Arnaud Donckele. Durant l’ouverture du restaurant, le jeune chef pré trentenaire d’origine toulousaine développe son amour des arts de la table, travaille sur l’identité et la construction d’un menu. Il affûte sa connaissance saucière et apprend la « vision » d’un restaurant jusqu’à l’arrivée, au bout de six mois, des trois étoiles. La consécration.

Aujourd’hui, sa cuisine met à l’honneur ses produits de prédilection comme la sardine (Bacalan à Bordeaux, nous précise-t-il, fut en son temps, le premier port sardinier de France), ou encore le rouget travaillé en darnes. Il revendique une cuisine braisée l’hiver allant sur le fumé et convoquant le terroir aquitain sur ses versants terriens, maritimes et viticoles. A notre arrivée, dans les salons en enfilades de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle, nous sommes reçus avec le chic et le sourire par la directrice de la Restauration Elsa Jeanvoine auréolée du titre de « Meilleure Ouvrier de France Maître d’Hôtel ». Pierrick Chapel, chef Sommelier (passé par Soho Gauthier à Londres, la Pinte des Mossettes à Cerniat en Suisse et la Vague d’Or à Saint-Tropez) nous suggère (sur les 1300 références de la cave), en guise d’apéritif, la vibrante cuvée «Achilea » de Christophe Pueyo. Un nectar 100 % Sauvignon Blanc, élevé 15 mois en barrique demi muid, pas trop aromatique et variétal dans une belle maturité. En ouverture et dans la foulée de quelques délicats amuse-bouches aériens et floraux, le renversant fenouil enlacé d’artichauts « cousinète » donne le ton avec son caviar osciètre d’Aquitaine de la Maison Sturia qui cajole agréablement l’esprit. On aime ce vocabulaire raffiné d’un « corps et âme » tout en finesse se prolongeant dans le verre avec la plaisante cuvée « 20 000 lieux sous les mers » du Château Combel La Serre. Le toucher de bouche révèle la violette, la pêche et quelques notes florales venue de Galice. Moment de grâce très attendu, la palette de légumes « Ciron » en papillote offre à la rétine une joie profonde avec ses couleurs éclatantes d’automne vivifiées d’une vinaigrette au vin de Sauternes.

Une séquence d’anthologie pour tout épicurien à l’âme de poète.

Le chef met sur le devant de la scène les plus beaux produits de la région consacrés, tels des tableaux, dans une gestuelle parfaitement affûtée. Amoureux des mots, ce dernier livre dans l’intitulé qui suit une pure merveille de style et de saveur : la Noisette de sole « Chambrelent ». Ce plat d’esthète, raconte l’histoire « d’un pied de chêne de nos carrières embaumés de pin maritime ». La cuisson est juste et consacre un terroir plein de douces promesses pour les sens. Pour honorer cette séquence d’anthologie pour tout épicurien à l’âme de poète, le Chef Sommelier nous gâte avec le princier Château Angelus 2014 à la robe grenat profonde. Dans une maturation idéale, ce vin au nez de terre chaude et noyaux de fruits (30ème cuvée de Hubert de Boüard de Laforest du temps où Angelus figurait au classement des Grands Crus Classés A) témoigne d’une écoute parfaite du vignoble. L’attaque précise, se caractérisant par un magnifique équilibre entre tanins, chair et  acidité, nous enchante. La finale persistante dévoile une trame tannique particulièrement harmonieuse et complexe. C’est grandiose. Ce Saint-Emilion Grand Cru, à l’olfaction méditative se distingue par une tension et une concentration aromatique exceptionnelles. L’accord, en grâce, se fait naturellement et nous transporte.

Plat signature venu du coeur, le ris de veau « valencienne » en casserole fait une apparition des plus remarquées dans cette réjouissante balade gastronomique en Guyenne et Nouvelle Aquitaine. L’art qui se développe derrière les fourneaux nous fait voir, à chaque bouchée, la richesse de cette ancienne province de France jusqu’aux possessions des Plantagenêts en Aquitaine. On n’échappe pas décidément à l’Histoire. Le plat gourmand vibre de toutes ses intentions, dans la faïencerie de Martres-Tolosane, dans un savoir-faire paysan fier de ses racines en célébrant la truffe en tarte fine Florentine, nourrie d’un réconfortant jus de vin de noix. Le Chef livre ici son propre répertoire avec panache en magnifiant les viandes à la façon d’un conteur au grand coeur.  Quand sonne l’instant sucré du pré-dessert et du dessert, c’est toute la féérie du chef Pâtissier Henri Arnoult (formé par Thierry Bamas, MOF en pâtisserie et champion du monde en dessert glacés) qui fait jour. Son lumineux Mesclun d’agrumes « Fleurette » titillés d’une généreuse nage florale ouvre les pages d’un monde insoupçonné de plaisirs parcouru d’une immense tendresse. De cette parenthèse, tout en dentelle, on garde aux papilles le souvenir impérissable de cette crème glacée au laurier noble. Les noms sont ici des ponts de vertu. En quittant les lieux, on se dit que ce chef surdoué épris d’harmonie, dans ce joyau du patrimoine bordelais a pris ses marques dans la ville natale de Montaigne et qu’il pousse mieux que personne le curseur de la saisonnalité grâce aux magnifiques cuissons sans jamais perdre de vue la vérité venue de la ferme et de la vigne. Car de la sincérité nue nait l’émotion !

www.le-gabriel-bordeaux.fr