Aux commandes du Manoir de la Régate, à quelques minutes de Nantes, ce jeune chef, à l’âme épicurienne, défend une cuisine affirmée rendant hommage aux poissons d’eau douce et à la biodiversité. Au sein de la demeure familiale, il opère aux cotés de sa sœur Anne-Charlotte qui a reçu le prix de l’accueil et du service du guide Michelin. A deux pas de l’Erdre, ce restaurant étoilé cumule les prix et les distinctions. Et cela est justifié !
Les liens qui lient Mathieu Pérou, enfant du pays, aux fermes avoisinantes, aux pêcheurs de l’Erdre (affluent de la rive droite de la Loire), aux cueilleurs, éleveurs et aux producteurs des environs expliquent l’essence durable et locavore de sa cuisine « consciente », aujourd’hui saluée unanimement par le petit monde très regardant de la gastronomie française. Depuis la reprise en 2017, et après des gros investissements consentis, le travail d’équipe récolte ses fruits, ceux issus d’un amour, sur plusieurs générations, du terroir nantais. Dans les cuisines du Manoir de la Régate, tout semble renvoyer à l’Erdre, ce large cours d’eau peu profond regorgeant de carpes. Et situé, à seulement quelques centaines de mètres, de l’autre coté de la route. Si bien que le symbole de ce poisson à la longévité exceptionnelle, et aimant les eaux calmes et tièdes, n’a pas bougé depuis 1880 de la façade du restaurant sur laquelle il est gravé. On est choyé, dès notre arrivée, avec le privilège de prendre place à la table du chef face au piano et aux fourneaux.
Ce sera un six temps, parfait pour envisager la partition tant sur la sincérité, l’histoire que les hommes. Vingt personnes constituent ici l’équipe. Quant arrivent les premiers canapés, on sait que les choses prendront belle tournure, c’est évident, mais observons cette ravissante meringue choux-fleurs, crémeux choux-fleurs et tartare de noisette et coriandre, puis cette élégante tartelette de pommes de terres et estragon qui fait écho à un troublant croustillant du curé nantais, pesto de mâche et lard nantais. C’est quelque chose ! On se dit que les « aînés » Pascal et Loïc (père du chef) doivent être ravis de voir cette nouvelle dynamique à l’oeuvre. On garde toute notre attention pour ce qui suit et qui nous ravit avec l’apparition du nénuphar de l’Erdre croustillant de l’Agastache, jambon de tanche parfumé aux épices. On est conquis par la galette saucisse révisitée : tuile croustillante au sarrasin, saucisse de silure assaisonnnée au tarama de sandre. Deux grands chefs auraient salué la travail : Christophe Hay à Blois et Eric Guérin dans les Landes de Bruyères. C’est d’une finesse sidérante, tout autant que la gougeonnette d’anguille de l’Erdre fumée, agrémenté d’un gel citron confit.
Juste de la générosité et du coeur.
Une parenthèse de rigueur s’impose avec l’arrivée du « pain d’accueil ». Un moment presque solennel en présence de ce pain feuilleté à la betterave, graine de coriandre et noix. C’est un hommage au grand chef Nantais Edouard Nignon qui a vécu à l’époque de monsieur Escoffier et qui mérite d’être honoré ici car l’homme a travaillé pour la dernière famille des Tsars en Russie et a ouvert la première boulangerie à Moscou. Quand se présente à nous le premier chapitre du menu intitulé Carpe, avec son renversant bouillon de queue de bœuf, on semble entendre le plaisir partagé des producteurs aux abords du restaurant. Quel moment de joie. Le jeune sommelier de 24 ans Théo Tournadre propose un superbe Côtes du Jura Savagnin sous Voile du Domaine Courbet, automnal et légèrement oxydatif. Le service aux petits soins nous enchante car se déroulant au naturel et sans faux semblants. Juste de la générosité et du cœur. Au chapitre suivant, baptisé « Champignon Urbain » une mousseline de champignon (les premiers de la saison), jaune d’oeuf de poule de Josselin Guedas et champignons sautés, prend le pouvoir et célèbre dans l’assiette la commune Carquefou (parsemée de nombreux manoirs construits par les notables nantais à partir du XVIᵉ siècle) avec ses beaux produits. Véritable chef d’oeuvre, le « Céleri de la Ferme de Belle-Ile » livre une structure de grande tenue portée avec soin par la noisette Saint-Julien-de-Concelles. Riche d’indices sur la philosophie locavore du chef, le plat qui suit est une pure merveille répondant au nom de « Silure de Loire ». Tout simplement. On se régale, du jeu de textures offert par ce confit aux épices et aubergines au feu de bois. On aime ce petit clin-d’oeil bien senti au père du chef qui travaillait, à l’époque le bar en croûte d’épice.
Sur l’accord, un muscadet Gabbro du Clos des Bouquinardières, car « on est à la maison » et c’est « un grand classique de la vie »… Ce nectar prenant, aux notes épicées de poivre blanc, caresse le palais en nous remémorant les sols volcaniques du magnifique domaine de Jérôme Bretaudeau. On ne perdra pas cette plaisante cohérence du déroulé, dans l’exploration gustative, avec le moment consacré à la « Sandre de Loire Ikejime » s’en remettant aux épinards et aux herbes pour faire honneur, une fois de plus, à la saison. Dans le verre, on se délecte d’un admirabe riesling du domaine Christian Binner. Vin sec non filtré non sulfaté. Le temps défile et on entame l’instant sucré du pré-déssert, signé par le talenteux chef Pâtissier Florian Villa (Vice-champion de France des Trophées de la Glace et qui avait son propre restaurant Osmose à la Roche-sur-Yon). Sa « Rigolette Nantaise », pas trop sucrée, nous fait envisager les tendresses de la mûre sauvage via une prouesse de dressage en révélant tout, en dentelle, l’imagerie, en miniature, des monuments historiques de Nantes. Cette création impressionnante de détails et de précision nous met en condition pour apprécier au mieux la divine « Pomme de Verger Lechat » convoquant cidre et sarrasin pour une envolée des papilles grandiose et jouissive. En quittant les lieux, après avoir parcouru le potager aux cotés du chef, on se dit que cette adresse adopte une philosophie pleine de sens et que l’on ira visiter prochainement la brasserie du Café des Expos, l’autre entité familiale au coeur de Nantes. Afin d’y retrouver cet attachement viscéral aux trésors de la nature conduisant à cette noble cuisine de tradition animée par de réjouissantes vibrations créatives ! www.manoirdelaregate.com
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
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