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Thierry Godard : « Il y a toujours une forme d’inconscience chez les comédiens lorsqu’ils tournent »

Figure émérite de la télévision (Un Village français, Engrenages, Germinal…), le comédien passe cette fois sur le grand écran dans Sans toi signé de son épouse Sophie Guillemin.

Ressentez-vous une grosse différence entre travailler pour la télévision et le cinéma ?

C’est exactement le même travail. S’il y a une différence, finalement, nous, comédiens, nous ne sommes pas les mieux placés pour le savoir. Généralement, les équipes de tournage sont les mêmes, les techniciens sont les mêmes au cinéma qu’à la télé, nous travaillons avec le même matériel… Évidemment, au cinéma, vous avez plus de temps de tournage. Et, au contraire, à la télévision, les projets se créent plus vite et, surtout actuellement, vous êtes sûrs de la diffusion. Au cinéma, c’est tout de suite plus aléatoire.

La frontière entre les deux supports se serait-elle dissipée ?

Le regard sur la télévision a changé même s’il y a toujours un reste de classification. On va dire que ce sont deux familles. Je suis très heureux dans la famille « télévision » car j’ai eu la chance de tourner dans des séries de qualité avec des gens que j’aimais. Mais vous pouvez aussi mal tomber. Le cinéma, c’est pareil. Les acteurs de comédies n’ont pas tous la chance d’être sollicités par le cinéma d’auteur. Comme les comédiens ont du mal à jouer aussi bien pour le théâtre privé que le subventionné. Il existe encore des cloisonnements comme ça. Ça change tout doucement. Mais, je le répète, je ne suis pas du tout malheureux.

 

Un défi de se faire diriger par sa compagne dans un long-métrage ?

Une grosse pression ! (Rires) Surtout que ce film, Sophie (Guillemin, son épouse et réalisatrice, ndlr) l’a fait un peu toute seule avec sa caméra 5D. Elle me filmait à tout moment. Il n’y a pas eu un jour où j’ai fait du 8h/17h. Dès qu’elle avait une idée, qu’elle trouvait la lumière superbe, elle prenait sa caméra. Il y a une scène dans Sans toi que nous avons refaite 38 fois. Elle n’était pas contente, moi non plus. Tourner avec Sophie, c’est à la fois une liberté totale et une exigence de dépassement. Je ne pouvais pas rechigner à la tâche…

La scène d’ouverture de Sans toi est assez saisissante : vous errez seul sur un lac gelé nu comme un ver…

J’ai appelé des copines maquilleuses pour voir s’il y avait des trucs pour résister au froid comme du sel, du gel chauffant… Bref, rien. Je me suis lancé. Il y avait une vraie contrainte : votre corps ne peut pas résister longtemps au vent et à une température de – 10 degrés. Pour m’encourager, je me disais que la scène allait être superbe. Sophie filmait. La glace craquait un peu avec des bruits bizarres. Mais il y a toujours une forme d’inconscience chez les comédiens lorsqu’ils tournent. C’est comme quand vous jouez au théâtre avec 40 de fièvre. Le temps de la pièce, vous oubliez que vous êtes malade. Ça ne vous rattrape qu’en sortant de scène.

 

Sans toi parle de la difficulté du deuil amoureux chez un homme, sujet rarement abordé au cinéma…

C’est exactement ça. Il y a quelque chose du deuil amoureux dans le film. Mais c’est aussi un personnage qui laisse passer une histoire sans se rendre compte que c’était la « femme de sa vie ». Le terme peut paraître bateau, c’est vrai, mais je pense sincèrement qu’il y a des personnes faites l’une pour l’autre. Passer à côté de ça, je crois qu’on ne s’en remet jamais vraiment.

 À partir de quel moment avez-vous senti que votre carrière décollait ?

Ça a décollé le jour où j’ai décidé de faire ce métier, en en parlant à un copain dans ma cour d’école. À partir du jour où vous vous découvrez une passion, c’est là que votre vie change. La mienne a même été sauvée quelque part. J’aurais souffert de vivre d’un boulot uniquement alimentaire. Le succès public est arrivé tard pour moi, c’est un fait. Mais j’ai apprécié chaque étape de mon parcours : les pièces pas payées, le théâtre de rue, les publics très restreints mais qui vous applaudissent avec bonheur… Tout ça m’a nourri.

 Et le plaisir de la reconnaissance ?

J’ai commencé à vingt ans. Je rêvais de tourner avec Claude Sautet, José Giovanni, Bertrand Blier… le cinéma français de l’époque. J’avais écrit à Sautet en arrivant, aspirant comédien, à Paris. Il ne m’a jamais répondu ! (Rires) Gamin, tu veux être Dewaere ou Depardieu. Ensuite, tu découvres le théâtre et ça t’ouvre les yeux. Le cinéma, ça arrivera peut-être ou pas. Aujourd’hui, j’ai la sensation qu’on me fait confiance. Et puis, tu as une vie plus confortable. C’est la belle adéquation qui arrive, à partir d’un certain âge, avec ce métier que tu aimes faire, quand tu as encore envie de le faire.

 

 Sans toi de et avec Sophie Guillemin, Thierry Godard, Bruno Solo… Durée : 1h16. Sortie le 12 janvier.