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Shabour : derrière la fourchette, un voyage

Dans une ambiance débridée et tourbillonnante, cette table franco-israëlienne du Sentier, étoilée au Michelin, est portée par les chefs Dan Yosha, Uri Navon, Assaf Granit et Tomer Lanzmann. Dans cet immeuble du 17ème siècle, tout le monde fait le service. L’accueil est tendrissime et la cuisine orgasmique !

Hautement festif et « brut de décoffrage », Shabour veut dire, en hébreu,  « casser », « fracasser ». Ici, dans cet ancien club de jazz, on aime les bouleversements gustatifs, la perte de repères en bouche et l’évasion culinaire. On vous en met plein la vue et les papilles, en dégustant par moment avec les doigts, pour mieux vivre l’inoubliable. Dès l’arrivée, c’est toute l’équipe du comptoir gastronomique, éclairé à la bougie qui nous accueille. William le directeur du restaurant nous confie aux soins d’ Anna, Emma, Alice, Itamar, Benoit, Valentin et Yoav. On est conviés à faire l’accord mets&vins « Le Voyage de Shabour » dans des échanges polyglottes jonglant entre le français, l’hébreu et l’anglais. Nous sommes prêts, aux premières loges, face au chef Dan Yosha, l’un des quatre associés de Shabour du JLM Machneyuda Group. On entame l’aventure avec « un tour dans la vieille ville » livrant les délices, à pleine puissance, d’un calisson salé zaatar, citron confit (resté deux ans dans le sable), soudjouk espadon, chou-anguille et mayonnaise sumac. Le soleil irradie l’assiette.

Suit l’épatant « Balkan Spring Garden » qui dévoile une angélique asperge fumée, amba, œufs de brochet, oxalis, émulsion et citron perse. William, le sommelier, opte alors pour un vin Corse de Calvi Domaine Alzipratu « Lume » 2019. C’est réjouissant et cela fonctionne sans heurt. Ce n’est que le début de notre déambulation, au stade de l’embarquement.  On est bouleversés par la partition nommée « Jack Jordan-San » qui célèbre admirablement dans l’assiette la langoustine, pignons, oignon, yahourt, wakame, nigelle, corail séché et fenouil bronze. Un véritable enchantement porté par un vin du Liban, le fameux Sept « Obeideh » de la vallée de Bekaa. A mi-parcours de ce menu hors-norme et sans frontière, on marque un temps presque solennel sur le chapitre « Haminados ». Dans le sourire, les fourneaux s’échauffent. On savoure, dans une sorte de recueillement un merveilleux œuf mollet soutenu par une mousse de tahini, relish, mulukhiyah, poutargue, oeufs de truite et challah. C’est quelque chose ! Dans le verre, on se délecte avec un époustouflant vin argentin Colome « Estate » Torrontes 2021 de la vallée de Colchaqui.

Une expérience humaine heureuse.

Le plats revisités de manière saisissante, qui défilent sur le grand comptoir en marbre, témoignent d’une inventivité exceptionnelle. Dans une atmosphère électrique enveloppante, survit enfin l’époustouflante « Lotte Rossini » qui met en beauté la lotte, le foie fumé, le panais, ail noir, citron perse, tuile, demi-glace. C’est créatif, emprunt de folie douce et cultive une expérience humaine heureuse. Le restaurant devient un théâtre de vie. Le plat chahute les codes et le vin grecque qui l’accompagne avec brio nous enchante. Ce vin de Santorin sincère, plein de générosité, nous projette sur le fabuleux Domaine Hatzidakis « Skitali » 2016. Sous la beauté de voûtes de pierre de taille apparentes et ce melting-pot de saveurs à l’oeuvre dans ce décor de table de shabbat, cet élégant nectar trouve parfaitement sa place. Au cœur de ce ravissant spectacle vivant que nous livre la fine équipe débridée, on aime ce coude-à-coude inattendu où l’on se fait bichonner par toute la brigade.

On achève ce moment digne d’un banquet de la cène avec l’immanquable « Pnina Rosenblum » qui nous honore et nous prend aux tripes avec sa pintade fumée au foin et maamoul, tapenade, demi-glace noix de cajoux. Un vin australien, aux arômes singuliers de la Yarra Valley, remplit à merveille son office avec son cœur vibrant apte à exprimer cette idée du « bien-recevoir ». A l’heure du dessert, la danse du service est à son comble quand se profile le « Bouquet Granit » qui nous invite à vivre une apothéose de saveurs dans la mise en réunion de basboussa poireau, sirop de laurier, gel citron-persil, praliné marin, crème de thym, rashad. La cuisine levantine, autour de ce foyer central, convoque toutes les influences méditerranéennes et bien au-delà. Une délicate liqueur de Mastiha nous transporte de manière enjouée sur l’île de Chios en Grèce. En quittant l’établissement, on se dit que Shabour est une adresse où l’on a envie de s’attabler car la brigade vibre et s’exclame en cœur, car la vaisselle de Limoges y est princière et car la cuisine extrêmement rigoureuse sait solliciter les sens sans jamais chercher à prouver ni à démontrer. Une sacrée découverte à vivre en duo de préférence ! www.restaurantshabour.com