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Cannibales perdus

Lee (Timothée Chalamet) et Maren (Taylor Russell), un couple qui, sans en avoir l’air, a la dent dure. Crédit: Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures.

Après Call me by your name, Luca Guadagnino fait rempiler l’intouchable Thimotée Chalamet dans Bones & All, un conte folk et cannibale qui oscille entre romance branchée, violence gore et… stupidité abyssale.

En 2017, Call Me by your name – adapté d’un roman signé André Aciman – racontait l’histoire d’amour cachée entre un tout jeune homme et un adulte. Timothée Chalamet y faisait l’amour à une pêche devant une critique et des groupies esbaudies. Tout ça passant beaucoup mieux aux yeux du public que le dernier Gabriel Matzneff devant les comités de lecture. Faire la moue devant ce chef-d’œuvre imposé au forceps vous classait d’office au rang de bigot ou de rebut réactionnaire. Son réalisateur, l’italien Luca Guadagnino, obtenait la carte. Affaire classée.

Malick + Deodato
Avec son remake – poussivement sadique – du baroque Suspiria de Dario Argento en 2018, le metteur en scène marquait son intérêt pour le cinéma à accents horrifiques. Bones & All, son nouveau film, tiré d’un livre de Camille DeAngelis, joue la carte du mélange des genres. Luca Guadagnino rappelle Timothée Chalamet et l’unit à Taylor Russell, égérie du diptyque à succès Escape Game. Cette dernière est la grande révélation du film (pour elle, un prix à Venise en sus). Bones & All ? Imaginez La Balade sauvage de Terrence Malick sous l’influence de Ruggero Deodato, maître ès-cinoche anthropophage italien des années 80 (Le Dernier monde cannibale, Cannibal Holocaust…). Cela paraît tiré par les cheveux. Mais frôle la vérité.

Rassurez-vous : Maren et Lee sont aussi capables de faire de vrais repas ! Crédit: Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures.

A table !
Après avoir cruellement blessé une amie de lycée, Maren (Taylor Russell) est obligée de s’enfuir. Son père l’abandonne et l’adolescente part chercher la vérité sur le mal qui la ronge : un goût irrépressible pour la chair humaine ! Sur sa route, elle fait la rencontre de Lee (Timothée Chalamet), rebelle avec une cause identique à la sienne, c’est-à-dire se repaître de son prochain. Ensemble, ils vont tenter de se construire une vie, mêlée à la quête obsessionnelle de Maren, au cœur d’une société qui – forcément – les considère comme des « monstres » (sic).

Fais-le comme Fulci
Bones & All est centré autour du malaise. Pas uniquement celui de ses deux jeunes « héros » à s’adapter à un destin d’inadaptables. Il est à la fois intra et extra-cinématographique. A l’écran, la complaisance gore prouve l’indéniable talent de Luca Guadagnino à brusquer voire écœurer son public lorsque s’emballe l’effet sanglant. Mais ça, des gens comme Lucio Fulci (L’Enfer des zombies) ou Joe d’Amato (Anthropophagous), Italiens eux aussi, y parvenaient déjà aisément il y a quarante  ans. Un improbable goût commun pour la sauce bolognaise ? Malin, Guadagnino saupoudre également son récit de beaux clichés pubards (le jeune couple mixte vêtu comme dans une réclame pour vente de fripes en ligne), de réflexions sur la liberté, la paternité (le géniteur se débine ou a la main lourde, au choix), le regard en biais de la société… Et d’une morale bizarre à savoir comment trouver sa « bonne » proie, la personne à dévorer adéquate.

Luca Guadagnino en plein travail : un réalisateur qui prouve qu’il peut avoir du mordant. Crédit: Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures.

L’Amour à mordre
C’est là surtout que le bât blesse. Parce que cette jeunesse qui s’amourache et parle de son mal-être en idiomes de roman « young adult », ce poison éditorial actuel, a pour « transgression » le cannibalisme. Luca Guadagnino le dépeindrait presque comme un travers égal au vol de portefeuille ou de voiture. Ce qui fait que les 3/4 de ses dialogues tombent dans un pompier savoureux dès que le spectateur se distancie un rien de l’intrigue, de sa photographie panthéiste et de sa love story avec de  » vrais morceaux de viande à l’intérieur « . Et comme s’il voulait exorciser l’idiotie ambiante dans lequel baigne conceptuellement son film, le metteur en scène vous ressert une louche de violence nauséeuse (à noter l’excellent travail au niveau du bruitage et des effets spéciaux).

Le Lion dort
Le film a obtenu le Lion d’argent du meilleur metteur en scène au dernier Festival de Venise. Soit. On peut s’autoriser le luxe de rire à l’idée de ces dames emperlousées, le soir de l’avant-première transalpine, retenant leurs hauts-le-cœur pendant plus de deux heures. Ou allant même jusqu’à les soulager dans leur sac à main de marque. Bones & All se prend très au sérieux, conte d’horreur carnivore à ambitions existentielles. Ou le contraire. Et qui au nom du cliché de  » l’amour impossible  » se perd en exhibitions confortablement dérangeantes. Au final, tout cela fait « pschitt »; celui du sang giclant hors des plaies béantes.

Maren (Taylor Russell) face à terrifiant Sully (Mark Rylance), le cannibale « méchant » de Bones & All. Tout un programme… Crédit: Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures.

Après avoir regardé le film Tueurs nés (1994) d’Oliver Stone, deux nigauds de Canadiens s’étaient mis en tête d’imiter le couple formé à l’écran par Juliette Lewis et Woody Harrelson. Cela se solda sur le massacre d’une famille entière en 2006 dans la province d’Alberta. Pour les esprits éclairés qui seraient donc tentés de faire de même en prenant pour exemple le tandem Russell/Chalamet, un dernier conseil : c’est le moment absolu pour vous de devenir végan !

Jean-Pascal Grosso

Bones & all de Luca Guadagnino avec Thimotée Chalamet, Taylor Russell, Mark Rylance… Sortie le 23 novembre.