Avec Armageddon Time, le réalisateur de La Nuit nous appartient et de Two Lovers replonge dans sa jeunesse new-yorkaise. Las, ce Les 400 coups à la sauce ketchup se transforme en une interminable leçon de morale aux accents « woke » d’aujourd’hui.
En 2019, le public laissait James Gray en bonne place du box-office avec Ad Astra, chronique spatiale paradoxalement sous-estimée. Brad Pitt partait dans l’espace y chercher son père. Là, pour Armageddon Time – aucun lien avec le bruyant navet signé Michael Bay où le malheureux Bruce Willis se sacrifiait pour sauver la planète terre -, le réalisateur revient sur le plancher des vaches. Au cœur du New York des années 80. Un récit semi-biographique où le rejeton d’une famille d’immigrés juifs venu de L’Est grandit tiraillé entre ses rêves d’artiste, ceux de réussite sociale de ses parents et une amitié périlleuse avec un enfant noir du ghetto voisin. En somme, préparez vos mouchoirs…
Dans les années 80, le collégien Paul Graff (Banks Repeta), fils d’une famille des classes moyennes du Queens, fait les 400 coups avec son copain Johnny Crocker (Jaylin Webb), un gamin noir, pauvre, qui rêve de devenir astronaute. Piqué en train de fumer un joint dans les toilettes de l’école, le tandem est séparé. Paul se retrouve dans un établissement pour blancs riches dirigé par le père de… Donald Trump. Quant à Johnny, il finit à la rue comptant plus que jamais sur son ami pour aller vivre une nouvelle vie en Floride. C’est à ce moment-là que Paul apprend que Aaron (Anthony Hopkins), son grand-père adoré, est atteint d’une maladie grave…
Pourquoi Armageddon Time ? Parce que l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan sonne, pour la famille progressiste du héros du film, les trompettes de Jéricho. Un grand boum sans lendemain. L’effacement total. Rien de moins. Finalement, il n’en sera rien. Ne perdure aujourd’hui de l’époque du « mauvais-acteur-devenu-président », le triomphe des yuppies de Wall-Street et d’un cinéma sous testostérones (Stallone, Schwarzy, Chuck Norris & cie). Au passage, on attend toujours le grand scénario made in USA sur cette période d’effondrement moral et d’apprentis-sorciers de la géopolitique que furent les années Bill Clinton. Ainsi qu’une mise en bière sur grand écran de ce fieffé va-t-en-guerre et accessoirement Prix Nobel de la Paix que reste Barack Obama. Qui sait, l’espoir fait vivre…
James Gray nous avait habitués à bien (Little Odessa, The Yards…) et même à beaucoup mieux (La Nuit nous appartient, The Lost City of Z…). On attendait donc non sans curiosité, voire avec une certaine gourmandise, cette plongée apocryphe dans ses années de jeunesse. Au bout de quasiment deux heures, il y a de quoi en sortir circonspect. Déjà, parce qu’il est difficile de trouver sa place aux côtés de Paul Graff, ce gamin issu d’une famille qui trime. Lui n’en fait qu’à sa tête. Il y a des coups de pied au c*l qui se perdent auraient dit nos aînés à le voir, pendant toute la première heure, faire n’importe quoi pour être apprécié de ses copains de classe. Il est effronté, égoïste, ignoble avec ses parents (Jeremy Strong en plombier dépassé et Anne Hathaway en mère courage des fourneaux). L’attention que le spectateur pourrait porter à ses penchants artistiques – la peinture et le dessin remplacent ici la cinéphagie de James Gray enfant – se dilue rapidement dans l’irritation provoquée par ses insatiables pitreries.
Plus gênant encore est le manichéisme qui plombe le film de tout son long. Paul est juif et son ami est noir. Intrinsèquement, « on » leur en veut. Pour savoir qui est le « on », merci de patienter un peu. Déjà, un petit élève rouquin qui crache son fiel sur Johnny. Cela mériterait au mieux une étude très sérieuse sur l’image des rubigineux comme véhiculée, en Amérique, par le cinéma et la télévision : foncièrement vils, méchants, mauvais. Du Leprechaun réincarné. Viennent ensuite, cerise sur le gâteau, les figures de Fred (John Diehl) et Maryanne (Jessica Chastain) Trump, respectivement père et sœur du futur 45e président des Etats-Unis. Limite du cinéma stabiloté pour les ânes qui n’auraient pas encore compris. Le problème, c’est que ces démonstrations binaires, répétées sans plus de nuances (Anthony Hopkins décroche la timbale avec son « moment », un discours d’un antiracisme échevelé), nuisent fortement à Armageddon Time. On finit par attendre ces saillies convenues, presque par réflexe, à chaque coin de rue, chaque sortie de classe, chaque sirène de police. Bien sûr, la mise en scène est parfaite, tout comme l’interprétation chorale. Sans oublier la photographie de Darius Khondji qui remplit sa mission à repeindre New York d’une fraîche grisaille datée 80’s. Au forceps, James Gray parvient même à arracher quelques larmes; sans gloire. Mais on aurait espéré quelque chose de moins entendu que ce succédané de belles pensées jusqu’à en étouffer l’intrigue. A se demander si le seul moyen de survie pour un auteur hors des sentiers Marvel réside désormais dans une inclination à la « doxa » actuelle. Il y a de quoi passablement être inquiet.
Armageddon Time de James Gray avec Anne Hathaway, Jeremy Strong, Banks Repeta… Durée : 1h55. Sortie le 9 novembre.
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
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