
S’inscrivant dans la tradition des Arts Décoratifs, cette personnalité du design contemporain accompagne, depuis 2010, la crème de la discipline avec un engagement et une expertise mondialement reconnus. EDGAR a rencontré cette femme d’influence qui a troqué un jour son habit de marchande des puces, puis de commissaire priseur à Drouot, pour celui de galeriste dans l’épicentre du Marais. Rencontre !
Vous êtes commissaire priseur de formation. Cela a-t-il des avantages dans votre secteur aujourd’hui ?
Absolument. Ma formation de commissaire-priseur m’a éduqué le regard sur la qualité, l’authenticité et la valeur intrinsèque des œuvres. Cela m’a permis, dès les débuts de la galerie, de constituer un catalogue exigeant, à la frontière de l’art et du design. J’aborde chaque pièce avec le même sens du détail qu’une œuvre d’art, en évaluant son inscription dans l’histoire, son innovation formelle et la qualité de son exécution. C’est un atout aussi dans le dialogue avec nos clients qui attendent aujourd’hui un accompagnement à la fois sensible et expert.
Quel était l’état du design quand vous vous lancez ?
Lorsque j’ai lancé la galerie en 2010, le mobilier design était surtout porté par les industriels et le mass market. L’univers du luxe était encore assez conservateur dans ses choix fonctionnels et formels pour le mobilier. Aujourd’hui, la scène a radicalement évolué. Depuis les années 2000, on a vu l’émergence de designers-auteurs, de pièces uniques ou en série très limitée, pensées pour les amateurs éclairés, les musées ou les grandes collections privées. La galerie a pris toute sa part pour rendre le mobilier contemporain désirable en défendant dès le départ une ligne exigeante et en participant à cette reconnaissance institutionnelle et critique du design comme un champ créatif et artistique à part entière.
Que vous apportent les salons et les foires ?
Nous participons régulièrement à PAD Paris, PAD London, Collectible à Bruxelles, Collective à New York. Chaque foire a son ADN : Paris reste très liée à l’élégance et à une certaine tradition de l’art décoratif, Londres et New York attirent des clients fortunés, des collectionneurs internationaux et des institutions majeures. Ce sont des temps forts qui nous permettent de présenter des pièces inédites, de prendre le pouls du marché, mais aussi d’élargir notre audience. C’est un dialogue permanent entre la galerie, les artistes, les collectionneurs et les grands décorateurs.
Comment voyez-vous la scène du design français aujourd’hui ?
La scène du design français est aujourd’hui à la fois foisonnante et singulièrement influente. La France a toujours eu un rapport particulier au goût et à l’excellence artisanale, et cela se traduit dans le design contemporain par une créativité qui s’exporte dans le monde entier par le biais de grands décorateurs et cabinets d’architecture d’intérieur. Beaucoup d’entre eux comptent parmi nos clients à la galerie (Pierre Yovanovitch, Pinto, RDAI, Studio KO, Caroline Sarkozy…). Ils ne cherchent pas simplement à meubler un espace, mais à lui donner une âme. Ils sont en quête de LA pièce singulière, sculpturale, qui va transformer un lieu et lui apporter ce supplément d’âme indispensable. Notre rôle est de les accompagner dans cette quête, en leur proposant des créations uniques, porteuses d’une histoire et d’une vision contemporaine du design.
Quels types de pièces défendez-vous ?
Nous défendons principalement des pièces en petites séries ou réalisées sur mesure. Ce sont des créations qui portent en elles une dimension conceptuelle, poétique ou expérimentale forte. Elles naissent souvent de l’imagination du designer lui-même, ou d’un dialogue étroit avec des artisans d’art d’exception. La notion de “série” est ici très éloignée du design industriel : chaque pièce raconte une histoire, possède une part de rareté, et nécessite un accompagnement spécifique tout au long de sa réalisation. Nous accordons une importance particulière au travail de la matière, aux détails et aux finitions. Ce sont ces éléments qui font toute la différence : ils révèlent la main de l’artisan, traduisent la vision du designer, et confèrent à l’objet son caractère unique. Certaines pièces sont d’ailleurs créées sur commande, en dialogue avec le client ou le décorateur, ce qui instaure un rapport presque intime entre l’œuvre et son futur propriétaire.
Au-delà de la scène hexagonale, vous montrez aussi des artistes étrangers ?
Effectivement, représenter des talents venus de villes comme Maastricht (Valentin Loellmann, Lukas Cober), Londres (Shannon Clegg) ou Beyrouth (Georges Mohasseb) nécessite une approche active et continue de recherche et de dialogue.Les grands designers se trouvent partout dans le monde, et il y a très peu d’élus. C’est une véritable chasse aux trésors. Ce travail de repérage, de rencontre, et souvent de suivi dans les studios, fait partie intégrante de notre démarche, à la recherche de pièces d’exception qui apportent une vision nouvelle et un savoir-faire unique.
Que recherchent vos collectionneurs à Paris ?
Nos clients viennent à Paris avec le désir de trouver des meubles extraordinaires, au même titre que les rois faisaient appel aux grands ébénistes, ou que les élites des années Art déco commandaient des pièces uniques à des créateurs visionnaires comme Jean-Michel Franck Ruhlmann, Royère… Ce qu’ils recherchent, c’est l’exception, le geste singulier, la pièce qu’on ne trouve nulle part ailleurs. À travers ces acquisitions, ils cherchent à intégrer dans leurs intérieurs des pièces qui incarnent un savoir-faire, une audace créative et qui répondent très souvent à des œuvres d’art dans une véritable convergence du Beau telle que chaque client la conçoit.
Comment se porte le marché international ?
Nous observons un ralentissement global, non seulement sur le marché de l’art, mais aussi dans les secteurs du luxe et de la mode, et cela partout dans le Monde, pas seulement en France. Les demandes provenant des Etats Unis notamment se sont sensiblement ralenties depuis le début de l’année. Cela a forcément un impact, mais je crois que c’est précisément dans ces périodes plus exigeantes qu’il est important de prendre le temps de se poser, de faire des choix stratégiques, de rester toujours plus exigeants dans nos propositions et de chercher à nous démarquer. Ces moments de transition peuvent être difficiles, mais ils sont aussi porteurs d’opportunités pour affirmer notre singularité et renforcer la valeur de ce que nous défendons.
De quelle manière choisissez-vous vos artistes ?
Chaque entrée dans la galerie est une rencontre avec une œuvre, une personnalité, une vision. Il faut du temps, de l’écoute, et parfois accompagner des projets audacieux, qui ne sont pas toujours immédiatement rentables. Mais c’est aussi notre rôle : créer un cadre de travail, un espace d’expérimentation, une scène.
La concurrence est-elle dure ?
Il y a des échelles très différentes. Certaines grandes galeries internationales ont des moyens considérables, mais ce qui fait notre force, c’est la cohérence éditoriale de notre ligne, la proximité avec nos artistes, notre capacité à produire des pièces complexes et de grande qualité.
Quelques mots sur les salles de ventes et les enchères ?
C’est un monde que je connais bien, qui peut donner de la visibilité à un artiste ou un courant, mais qui demande une vraie maîtrise du marché. Je suis régulièrement sollicitée pour mettre des pièces en vente aux enchères. Mais je considère que ce n’est pas le rôle d’un galeriste, en particulier dans le domaine du design contemporain. Notre mission n’est pas de créer une spéculation ponctuelle autour d’une œuvre, mais d’accompagner les designers sur le long terme, de construire leur parcours et de faire un véritable travail de promotion et de valorisation. Les enchères ont leur place dans l’histoire de l’art, bien entendu, mais le rôle d’une galerie est avant tout de bâtir des trajectoires solides et durables pour les créateurs qu’elle défend.
Comment trouvez-vous l’équilibre entre concept, esthétique et fonction ?
C’est l’un des grands enjeux du design. Certaines pièces que nous montrons sont très sculpturales, comme par exemple les sculptures lumineuses en soie naturelle de Diane de Kergal, mais conservent toujours une fonction, même si elle est détournée, poétisée. Pour moi, l’équilibre entre esthétique et fonction est essentiel. Même si certaines pièces peuvent avoir une dimension très sculpturale, elles doivent toujours rester fonctionnelles. Le design n’est pas seulement une question de forme, c’est aussi une expérience d’usage. C’est pourquoi nous attachons une grande importance à la qualité des finitions et à la mise en valeur des matières. Ce sont ces détails qui permettent à une pièce d’être à la fois belle, intemporelle et véritablement vivante dans un espace. Le design que nous défendons est un pont entre l’émotion et l’usage.
La question de la production est parfois un sujet sensible…
Oui, certaines pièces demandent des investissements lourds que les designers ne peuvent pas se permettre. Nous accompagnons nos artistes sur ces aspects : repérage d’ateliers, financement de prototypes, mise en relation avec des artisans de renom, suivi de production. Notre rôle, c’est aussi de rendre possible ce qui semblait irréalisable au départ.
Vos plus belles ventes ?
Certaines de nos pièces ont rejoint de grandes collections privées et publiques : le bureau Brass de Valentin Loellmann se trouve à l’Élysée, la lampe Mini Nida de Vincent Poujardieu a intégré les collections du roi Charles III, tandis que les sculptures lumineuses de Diane de Kergal et de Pierre Lapeyronnie font désormais partie des collections du Mobilier National, ainsi qu’une console New Wave de Lukas Cober. D’autres œuvres ont été acquises pour des projets résidentiels d’exception. Les prix peuvent aller de quelques milliers à plusieurs centaines de milliers d’euros pour une pièce unique ou sur commande. A titre d’exemples, on commence à 1 500 euros pour un vase de Shannon Clegg à des pièces réalisées sur mesure à + de 100 000 de Valentin Loellmann. Pour beaucoup de nos pièces, les prix ne sont disponibles que « sur demande », car il s’agit de projets entièrement personnalisés.
Y a-t-il un risque de spéculation sur les pièces en série limitée ?
Comme dans tout marché lié à la rareté, il peut y avoir des phénomènes spéculatifs. Mais nous restons vigilants. Je défends avant tout la valeur artistique et conceptuelle des œuvres, et non leur seule valeur financière. Des designers comme Marc Newson ou Ron Arad ont vu leurs œuvres exploser en ventes publiques, mais cela reste l’exception.
Travaillez-vous avec des architectes et des décorateurs ?
Oui, régulièrement. Certains grands noms nous sollicitent pour intégrer des pièces dans des projets résidentiels ou hôteliers haut de gamme dans le Monde entier, tels que Pierre Yovanovitch, Tino Zervudachi, Clément Design, Nicole Hollis, Grégory Gatserelia….Le dialogue est très fluide : ils viennent chercher chez nous des pièces audacieuses et fortes pour des projets sur mesure, qui deviennent des éléments centraux et donnent leur caractère à un intérieur.
Qu’en est-il de la question des assurances ?
C’est un sujet important, souvent peu évoqué. Nous accompagnons nos clients dans la valorisation assurantielle de leurs acquisitions, toutes nos pièces sont signées et/ou accompagnées d’un certificat d’authenticité. Nous travaillons avec des experts pour assurer le bon transport et la conservation des pièces.
Sans oublier bien sûr l’entretien ou la restauration…
Nous avons mis en place un réseau d’artisans spécialisés qui peuvent intervenir en cas de besoin. Certaines pièces nécessitent un suivi particulier, notamment sur les finitions ou les matériaux sensibles. Nous en informons toujours nos clients et nous leur fournissons des instructions pour l’entretien de leurs pièces.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Nous avons actuellement à la galerie un solo show d’un designer libanais très talentueux : Georges Mohasseb et nous préparons une exposition collective qui se tiendra en même temps que le salon Design Miami Fair et Art Basel Paris en octobre prochain. Nous exposerons en exclusivité une collection d’assises et de tables signée Claisse Architecture et Annie Delvenne : il s’agit de pièces qui racontent une histoire, celles de tissus oubliés exceptionnels plissés à la main dialoguant avec un travail de ciselure sur de l’aluminium et du laiton pour former des œuvres uniques. En parallèle, nous travaillons sur plusieurs projets passionnants dans le domaine résidentiel et nous accompagnons des designers dans le développement de nouvelles pièces.
Galerie Gosserez au 16, rue de Montmorency 75003 Paris

Journaliste spécialisé en art contemporain, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
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