Après avoir présenté les premiers travaux du célèbre designer (exposition DÉBUT en décembre 2020), Rémi Gerbeau et Jean-Philippe Mercier consacrent un deuxième volet aux « meubles attentionnés » du « gourou du minimalisme » à travers ses premières grandes commandes. A voir à Paris, jusqu’au 17 décembre !
On connaît Martin Szekely (l’un des designers les plus côtés au monde) pour le dépouillement volontaire de ses œuvres et la rigueur de sa première collection PI, aux courbes acérées, où le trait noir, sculptural et typographique s’impose dans l’espace comme un contrepoint à l’architecture. Son dessin relève d’un nouveau fonctionnalisme où le défi structurel est porté à son extrême limite : « Aujourd’hui mon travail m’apparaît comme une soustraction à l’expressionnisme du dessin, J’ai pour ambition un résultat économe qui ne soit même pas qualifiable de minimaliste. Un lieu commun. » a t-il expliqué un jour. Et d’ajouter ceci : Ne plus dessiner, c’est se mettre à une distance objective du projet. C’est ne plus s’en remettre à l’imagination individuelle et son corollaire le dessin, comme ce fut mon cas dans les années 80 et 90. C’est établir une méthode de travail basée sur des données extérieures à ma personne et partageables par tout un chacun, celles que je nomme les « pierres dures ». En matière de première commande, la plus manifeste d’entre elles fut celle réalisée pour Marie France Schneider. Cette architecte DPLG découvre en effet le mobilier de Martin Szekely (photo ci-dessus) à la galerie Néotù au début des années 80 et achète sa première pièce, le guéridon PI. Au même moment, elle travaille sur l’aménagement de son nouvel appartement qu’elle envisage comme un lieu capable d’accueillir sa collection d’œuvres d’art. Souhaitant donner à son espace de vie une identité forte, et s’entourer de créateurs contemporains, elle entre en contact avec Martin Szekely. Commence alors une véritable collaboration entre l’architecte et le designer, aboutissant à la création d’un ensemble de meubles « à l’attention de … ».
Au sein de cette superbe exposition, scénographiée par Bruno Rousseau, le visiteur appréciera donc notamment le miroir Piège à Louvre, le fauteuil Marie France, deux Presse-papiers « surdimensionnés », la table basse Oiseaux, un escalier … « Je voulais des meubles, qui fassent partie de l’architecture, Szekely a un rapport avec l’espace, une pureté, une rigueur. Il m’a paru le seul capable de faire ça sans fadeur ni prise de possession. Il ne fait pas la guerre. Il n’occupe pas le terrain. Je savais qu’avec lui il n’y aurait pas de violence faite à la personne » confie Marie France Schneider. Il s’agira de la première grande commande du designer, un ensemble exceptionnel de pièces inédites, réunies pour l’occasion dans l’espace sous la majestueuse verrière de la galerie du 20ème arrondissement à Paris. Cette dernière auréole le travail de Martin Szekely s’attachant à apporter, dans un esprit libre, des réponses renouvelées à des meubles et objets du quotidien, en prenant en compte toujours les techniques et les technologies de son époque.
L’exercice de la commande
Martin Szekely convoque le volume et s’interroge sur l’inscription des meubles dans l’espace. Plus largement, cette redécouverte nous questionne sur la notion de pièces de commande chez le designer, à différencier des « pièces d’expression pure », selon les mots de Pierre Staudenmeyer, co-fondateur avec Gérard Dalmon de la galerie Néotù. Martin Szekely s’attelle très tôt à l’exercice de la commande, il parle alors de « meubles attentionnés » et va jusqu’à donner à ses meubles le nom de leurs commanditaires. En dehors du fauteuil Marie France, c’est le cas pour le canapé Stoleru, meuble dessiné suite à une commande en 1985 d’une jeune étudiante Madame Stoleru. Le canapé grand modèle, tout premier exemplaire, réalisé ici en cuir, est présenté dans l’exposition. Tout comme la table – bureau Crousel (1985), conçue à l’origine pour la galeriste Chantal Crousel, la chaise Hérouville qui équipait le foyer de la Comédie de Caen à Hérouville (1989), le bureau Pettit (1985), ou encore la table Vecteur destinée à la Maison Halard pour la coupe des tissus (1982)….
La notion de « meubles attentionnés » est restée une constante dans le travail de Martin Szekely et l’ensemble de mobilier qu’il a réalisé pour le Musée du Louvre en 2021 en est un exemple contemporain. Depuis son « entrée en design » à la fin des années 70, Martin Szekely méconnu du grand public trace sa route en solitaire intervenant dans tous les champs du design : industriel, urbain, environnemental ou recherche pure… Immanquable !
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
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