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Terrenoire : double jeu d’esprit

Pour Terrenoire, l’année débute fort avec une Victoire de la musique et une tournée de concerts, double dose d’espoir pour la suite. Dans ce portrait, les frères stephanois se confient tour à tour, de leur rêve le plus fou à leur playlist du moment, le tout sans filtre.

Une interview de Terrenoire, autant le dire, se traduit par un numéro de folie et d’esprit qui mêle les bruitages, la légèreté et la présence sur scène de deux acteurs en pleine improvisation, maitres dans l’art de se renvoyer la balle. Ils se laissent parler l’un l’autre sans s’interrompre, se partagent équitablement l’espace, la parole. Il n’y a pas à dire, Raphaël et Théo de Terrenoire sont, à première vue, la vision parfaite d’un duo complémentaire.

J’ai la sensation de rédiger ce portrait comme j’écrirais une pièce de théâtre. Merci Terrenoire de m’extraire des sentiers battus. Il n’est pas toujours aisé de vous suivre mais cela vaut largement l’intensité éprouvée dans l’ivresse de cet échange.

Le festival qui me lie à Terrenoire se déroule en bordure de mer où une école de voile sert de bureau de presse. Le décor à première vue fait rêver… jusqu’à ce qu’il soit pris d’assaut par un groupe d’enfants dont la discrétion n’est pas le fort. Les deux frères ne se sont pas laissés distraire et ont fait l’effort de hausser la voix.

Ici, loin du cadre professionnel habituel, l’échange est fluide, la bonne humeur accessible mais il est tentant de perdre le fil, sous ce ciel azur. Raphaël, l’ainé, se frotte le premier à l’exercice, un décibel au-dessus de sa tessiture habituelle, offrant généreusement une rétrospective positive de leur fulgurant parcours. Un premier album, « Les forces contraires » en 2020 avec le succès triomphal du titre « Jusqu’à mon dernier souffle », devenu bande originale d’un film publicitaire, marque le coup d’envoi de leur carrière. S’en suivent les Victoires de la musique, d’autant plus révélatrices qu’ils s’y sont inscrits sans la moindre conviction. Les espoirs de la chanson française, désormais, ce sont eux et sans le savoir, ils déclenchent l’apothéose d’une année foisonnante. À l’heure où je leur parle, ils en sont à leur treizième festival de la saison.

« Nous venons de passer une année extrêmement riche, pourvu que la suite soit aussi belle et remplie de bonnes nouvelles », ajoute Raphaël, avant de préciser : « Les Victoires de la musique ont largement accéléré les choses, sans que nous soyons pour autant dans la saturation. » Il faut dire qu’ils maitrisent aussi bien l’art de la déconnexion, ce qui n’est pas chose aisée.

« On garde une main sur le levier de vitesse tout en faisant les choses à notre rythme », complète l’ainé. Dans un second temps, Il évoque l’existence de leur « très » grand frère, comme ils l’appellent, qui ne peut qu’approuver leur parcours.

Leur façon d’équilibrer la balance des émotions en famille, de passer autant de temps à deux, délaissant une partie de la fratrie, interroge. Avant que la tendance ne tarde à s’inverser, Raphaël tente d’y répondre : « Le fait d’avoir vécu dans les mêmes endroits, d’avoir été élevés par la même mère, cela nous a transmis une même culture, une sensibilité proche. On s’entend très bien tous les trois. » De plus, ils évitent de se laisser déborder par leurs émotions, composent au mieux avec leurs tempéraments respectifs. « Moi, j’ai besoin de parler, de poser des questions », explique Raphaël.

Quand Théo, subitement, se révèle, débordant d’humour, ajoutant spontanément : « Moi, il ne vaut mieux pas que je vois des fringues trop chères dans un magasin de skateboard. »

Leurs particularités musicales accentuent encore davantage cette notion d’équilibre et de juste dosage entre esprit et humour, dernier trait résolument tenu par Théo qui répond : « J’ai les cheveux plus épais que Raphaël », avant de se reprendre. « Je suis davantage porté sur la production que sur le texte et Raphaël sur le texte et la composition. » Composition qui émerge à bord des trains ou d’un studio de banlieue parisienne, ici même où ont dû se confronter pas mal de rêveries. De rêveries… mais quels sont ces rêves ? Théo aimerait savoir voler. Raphaël en a deux : devenir maire de Saint-Etienne et l’homme le plus heureux du monde. Si l’un a des attentes plus ambitieuses que son frère, ils n’en sont pas moins tous les deux un condensé de lyrisme et de féérie. Quelques jours plus tard, leur présence sur scène ne trahie pas l’omniprésence d’un imaginaire chimérique propre à leur art et à leur personnalité.

« Les rencontres que permettent la musique, ce n’est quand même par rien. Le changement de lieux, cette mobilité tout ça, inhérents au métier d’artiste, n’ont pas de prix. » termine Raphaël. Idéal pour conclure cet échange joyeux sur une ultime note de gaieté.

 

Photos : @carlottainparis et @rarolin