A la tête du restaurant gastronomique L’Aube, rue de Richelieu à Paris, ce chef trentenaire a été hissé au rang de Jeune Talent dans l’édition 2023 du Gault&Millau. Suivi de près par le guide rouge, cette adresse épate par son exigence s’exprimant à travers son inventivité aux fourneaux et sa sincérité dans l’assiette. Un envol et une vraie révélation !
Formé auprès de ses quatre mentors, Gérald Passedat, Bernard Loiseau, Guy Savoy et Alain Solivérès, Thibault Nizard fait partie des rares chefs à avoir une culture nourrie de la tradition des maitres sauciers. Passé par les deux « institutions » Taillevent et Drouant, il se revendique aujourd’hui enfant du « enfant du classicisme » et cela fait admirablement sens dès les premières minutes d’échange en salle comme en cuisine. Sa table baptisée L’Aube et ouverte, il y un mois seulement à proximité de Pur’, de Omar Dhiab et de Accents, est devenue La destination-gastro incontournable du moment. Animés d’une folle envie de vivre cette expérience alléchante, à deux pas de la Comédie Française, on se lance sur l’accord mets&vins Dégustation en cinq temps. A l’arrivée, on est très agréablement accueilli par la directrice de salle Elinor Nizard, le sous-chef Bastien Veziat et le directeur adjoint Roman Boschetti. Aussi subtile que régressive, l’amuse bouche nous comble d’emblée avec sa sublime sardine grillée, marinée au citron de Nice, ravigote de salicorne aux échalotes et aneth ciselées, granité aux algues Nori et Citron de Nice. La fraîcheur bat son plein. Le chef sommelier Loïc Seznec (gardien d’une cave évaluée à 5 000 bouteilles et 360 références) suggère alors un élégant Sancerre doté d’une belle énergie aux notes citronnées en fin de bouche. On savoure le Sauvignon blanc sur les terroirs argilo calcaire, de silex et de caillottes comme dans une grande arène sur cette parcelle bio Demeter. Arrive ensuite comme une ravissante surprise, l’angélique huître Prat-Ar-Coum OO rôtie nappée de beurre blanc, oyster leaves.
On relève et apprécie au palais les surprenantes variations de températures. Grand moment de dégustation, la venu très attendue du poisson livre une émotion sans pareille dans l’assiette épanouie avec un magistral Saint-Pierre grillé aux petits poids, oignons grelots et pommes de terre rôtis, fumet de poisson au lait d’amande et amandes torréfiées, feuilleté petits poids et mousseron des près. Sur cette cuisine-satellite on savoure ce brillant filet de saint-pierre en deux cuissons (grillée et cuisson terminée au four vapeur). Cette maestria est célébrée sur la partition sommelière avec un épatant Chenin Blanc sur vignes de 80 ans du Domaine de la Taille aux Loups exposé plein sud sur terroirs argilo siliceux. On se délecte des notes infusées et des arômes un tantinet exotiques à la petite sapidité vénus des Hauts de Husseaux ; cette parcelle sur la roche mère dans un élevage sur lies fines de 18 mois. Ici tous les plats sont, en soi, signatures mais quand arrive la gracieuse Canette de Barbarie, on a conscience que le chef livre un création phare qui prend son envol dans une composition où conversent navets, ravioles de pickles de navets, crème de dattes, quartiers de dattes fumés au bois de hêtre, cuisse de canard confite, crème sublime de pollen et jus aux neuf épices Roellinger. Un vrai ravissement.
Une réminiscence du canard à l’orange
Les aériens parfums fumés d’acacias et d’aubépine d’un princier Saint-Peray élevé en fûts de chêne neufs font apparaître un puissant terroir granitique aux collusions calcaires dans un 100 % Marsanne. En fond, les aires langoureux de Stand by Me de Ben, E.King bercent admirablement l’heureuse dégustation à l’oeuvre en salle. On est littéralement sous l’effet du millésime 2016 avec la bonté de sa mûre sauvage et ce quelque chose plaisant d’un peu confituré… On se délecte de cette charmante canette des Dombes, telle une réminiscence du canard à l’orange où l’on pioche sous cette crème légère au pollen. Cette dernière sur la plat devient le fil conducteur dans une parfaite association avec la cuisse. Une pensée nous traverse alors : Tout est canard. Ce sera un superbe Côte du Rhône 100% grenache du très solaire millésime 2016, dont les notes épicées poivrées restant sur la langue, qui nous confirmera la chose.
A l’heure du dessert, se profile l’adorable crêpe suzette, flambée en salle au Grand Marnier. Deux récits officiels-officieux bousculent nos esprits : la mythique Suzette serait semble t-il une création du chef Escoffier en 1897 pour le futur roi de Monaco en présence de la comédienne Suzanne Reichenberg de la Comédie Française. D’autres attribueraient la recette au chef à la tête du restaurant Le Marivaux qui régalait les équipes de la Comédie Française. Libre à chacun de choisir sa version. Au sortir de cette déambulation gustative mémorable au sommet, on se dit que cet établissement sur deux niveaux de 320 m2 avec sa cuisine ouverte sur deux espaces traversants aime les grands classiques, défend une cuisine de l’instinct et cultive une élégance évidente avec sa porcelaine raffinée de la maison Jacques Pergay, ses nobles couverts signés Christofle, ses couteaux à viande des ateliers Perceval et sa verrerie Riedel. En matière d’identité culinaire le chef précise ceci : « Il doit y avoir de la vie dans l’assiette. Je n’ai pas envie de m’ennuyer…». Ainsi soit-il. Une table sur laquelle il fait désormais compter, c’est certain. A bon entendeur ! www.laube-paris.com
Journaliste spécialisé en art contemporain et design, Clément Sauvoy est également commissaire d’exposition et collectionneur.
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