Avant ses retrouvailles avec le réalisateur Thomas Lilti, le comédien William Lebghil fait un détour par une étonnante comédie de poche, Grand Paris de Martin Jauvat, et une autre, plus calibrée, avec François Damiens et Vanessa Paradis, Les Complices. Il y est, comme à son habitude, aussi à l’aise que désopilant. La raison à cette causerie sur le cinéma, la télévision et les ustensiles de cuisine.
Dans Grand Paris, vous faites une apparition remarquée en sandwichier-dealer. Outre que le film soit souvent très drôle, qu’est-ce qui fait que vous acceptiez ce genre de second rôle ?
Pour la petite histoire, j’ai rencontré le réalisateur Martin Javaut sur le tournage du film Yves en 2019. Il s’occupait du making-of. Nous avons beaucoup sympathisé. Il m’a montré ses courts-métrages. Je les trouvais géniaux, ça me parlait beaucoup. Lui et moi avons grandi dans le même environnement, en banlieue parisienne, dans des résidences pavillonnaires de la classe moyenne. Clairement, lorsque vous êtes adolescent, vous vous y ennuyez un maximum. Son ton, ses sujets, c’était quelque chose dont je rêvais un peu. Grand Paris, pour moi, c’est un peu comme trouver le Graal. L’histoire m’a tout de suite emballé.
Il y a une scène assez étonnante où vous déambulez en groupe dans une carrière de la banlieue parisienne. Le tournage a-t-il été aussi trépidant ?
Assez, oui. En plus avec peu de moyens. Mais avec un fort esprit de camaraderie parmi l’équipe. Ce sont des amis d’enfance qui savent très bien se débrouiller entre eux. Pour cette scène, tout le monde a mis la main à la pâte. On portait tous le matériel. Quant à l’existence même de ce souterrain, je l’ignorais. C’était l’aventure. Indiana Jones dans les banlieues dortoirs.
Vous qui avez grandi à Servon, un petit village de Seine et Marne, que pensez-vous de l’image de la banlieue au cinéma ?
Tout dépend de quelle banlieue on parle. Il y en a une multitude. Une différence de décors, de milieux, d’atmosphère… Pour le coup, je n’ai pas grandi dans une « cité ». Ma banlieue était assez retirée. C’était plus la campagne. Il n’y avait pas grand chose à faire mais beaucoup d’espaces verts, de forêt. Enfant, vous pouvez gambader. Adolescent, vous vous retrouvez vite bloqué. Par le simple fait que chaque trajet prend un temps délirant si vous n’avez personne pour vous conduire ou pas de scooter. Vous êtes tributaire des transports en commun. Martin en parle avec humour dans Grand Paris. C’est un road trip en RER.
Vous qui avez goûté aux gros tournages (Les Nouvelles aventures d’Aladin…), avez-vous un plaisir à participer à des petites productions ?
Il y a disons moins de pression. C’est plus artisanal. Même si les choses sont faites avec sérieux. C’est une autre façon de travailler.
Un petit tour par Les Complices avec François Damiens et Vanessa Paradis. Là, nous sommes dans du confortable…
C’est vrai qu’il y a plus de moyens. Et c’est peut-être plus encadré. Mais ce qui m’a surtout plu, lorsque j’ai rencontré la réalisatrice Cécilia Rouaud, c’est que c’est une vraie belle âme. Autour d’elle, elle a réuni des gens qui lui ressemblaient dans le sens où ses critères de sélection étaient l’humanité et la gentillesse. Ça s’est ressenti durant tout le tournage.
Pour être acteur, mieux vaut-il être ambitieux ou faire les bonnes rencontres ?
De mon point du vue, c’est un métier de rencontres. Je le sens, personnellement. A quel point ça va être facile de travailler avec un producteur ou un réalisateur dès les premières discussions. Nous sommes sur la même longueur d’onde. Comme il y a d’autres moments où on se dit que ça ne pourra pas se faire. Il y a un problème de communication, nous ne parlons pas le même langage. Je préfère ne pas me retrouver sur un plateau en me disant que ça va être laborieux. Voire quasi-impossible. Mieux vaut s’épargner ce genre de contraintes.
Vous tournez à peu près deux films par an. Est-ce votre rythme ?
J’aime bien. Avec le Covid, ça a été un peu compliqué. Deux films par an, c’est un rythme pas mal dans le sens où il faut bien les préparer. Avec à peu près quatre mois par projet. 4 + 4 = 8. Il me reste 4 mois d’oisiveté.
Et vous aimez l’oisiveté…
J’aime ne pas faire grand chose. Sinon, j’aime beaucoup cuisiner. J’adore ça. J’ai plein d’ustensiles chez moi. Je passe mon temps à faire la cuisine à ma famille, à mes amis. C’est vraiment quelque chose qui me plaît. Plus jeune, à 18 ans, en première année, notre professeur de théâtre nous avait tous mis en garde : « Trouvez-vous d’autres passions. C’est un métier où il faut attendre. Et si vous n’avez rien à faire, ça risque d’être très pénible. »
Qu’est-ce qui vous a donné le goût du métier ?
Mes amis. Tout simplement parce que j’étais très influençable. J’avais dix ans quand un de mes meilleurs copains m’a dit : « Viens avec moi un samedi faire du théâtre. On passe deux heures sur scène à faire ce qu’on veut. » Je me souviens d’une sorte de révélation pour moi. Je suis tombé amoureux de ce truc dans lequel il fallait se jeter et tout donner. Enfant, cette forme de liberté me fascinait.
La question bête : William, pourquoi William ?
En fait, mes parents voulaient m’appeler Steve. Au dernier moment, ils ont choisi William. C’était dans les années 90. La période des séries du genre Beverly Hills ou Melrose Place. Les prénoms « américanisants » avaient leur petit succès. C’était à la mode.
Quelle serait votre plus grande satisfaction jusqu’à aujourd’hui ?
De continuer à faire ce travail qui est parfois stressant, angoissant, mais qui est surtout pour moi une source de joie intense. La vie d’un acteur, ça n’est jamais monotone.
Vous parle-t-on encore de Soda, la série avec Kev Adams qui vous a vu débuter ?
Franchement, j’ai eu de la chance. Ça a été assez facile de m’en démarquer par la suite. Bien sûr, au départ, ça peut faire peur. On se dit qu’on va être catalogué idiot de service par les autres producteurs et réalisateurs. Aujourd’hui, dans la rue, les gens me reconnaissent encore grâce à Soda. Dans leur imaginaire, je reste Slimane. Finalement, ce n’est pas une mauvaise chose. Quoique vous fassiez, drame ou comédie, vous arrivez toujours par vous faire cataloguer. Avec le temps, je suis heureux d’avoir créé un personnage qui a retenu l’attention. Cela veut dire que j’ai bien fait mon travail.
On va bientôt vous retrouver dans Un Métier sérieux de Thomas Lilti. Un lien s’est-il créé avec ce réalisateur depuis Première année ?
Oui. Il y a des réalisateurs qui vous sont fidèles. Pour le coup, Thomas, c’est vraiment le cas. Nous avions envie de continuer de travailler ensemble. Il m’a écrit un rôle dans la saison 3 d’Hippocrate pour Canal Plus. Le tournage débute en mars. C’est vraiment très agréable de se suivre au fil du temps.
La nomination aux César pour Première année en 2019 avait-elle fait bouger les lignes ?
En tout cas, mes parents étaient très heureux. Moi aussi. Je ne sais pas dire exactement si ça a changé quoi que ce soit. J’ignore à quel point c’est palpable. En tout cas, c’est toujours des moments d’encouragement. Il y a ce rapport à l’imposture et à la légitimité qui nous travaille : « Suis-je vraiment un acteur ? » Une nomination aux César, ça rassure. Vous vous sentez soutenu intérieurement.
Et de quoi auriez-vous envie aujourd’hui ?
Je ne me sens pas en manque de quelque chose en particulier. Sinon, pour la cuisine, de temps de cuisson.
Grand Paris de et avec Martin Jauvat, Mahamadou Sangare, William Lebghil… Sortie le 29 mars.
Les Complices de avec François Damiens, William Lebghil, Vanessa Paradis… Sortie le 12 avril.
Publie dans Edgar numéro 109
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
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