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Caviar de Neuvic, le Bio pour crédo

Pionnier et tourné vers une philosophie respectueuse du vivant, ce producteur de caviar français d’exception ouvre une nouvelle voie. Depuis sa ferme de Dordogne, il démontre que la signature bio est l’avenir du secteur.  EDGAR a rencontré sur place son PDG, Laurent Deverlanges, qui nous parle d’un secteur en pleine évolution !

Quel a été l’épisode déclencheur pour Caviar de Neuvic ?

Tout débute réellement, au mitan des années 90, lorsque je découvre quelques élevages d’esturgeons en Europe, c’est un déclic. À l’époque, très peu d’acteurs s’étaient engagés sur cette voie. L’élevage d’esturgeons était encore une pratique récente, portée par quelques pionniers. Installer une ferme en Dordogne, c’était prendre un risque, bien sûr. Mais c’était surtout affirmer une vision : celle d’un caviar d’exception, issu d’une aquaculture durable, respectueuse du vivant et de son territoire. En 2011, je fonde Caviar de Neuvic avec cette conviction : le luxe de demain ne sera plus dans l’ostentation, mais porteur de valeurs.

Qu’en est-il des nouveaux consommateurs tournés vers la consommation locale ?

Ce qui est frappant chez les jeunes générations, c’est la maturité de leur regard sur ce qu’ils consomment. Ils ne cherchent pas seulement un bon produit : ils veulent comprendre d’où il vient, comment il est fabriqué, par qui, et à quel coût social, environnemental ou éthique. Le caviar peut sembler éloigné de ces préoccupations, car il est encore perçu comme un produit de luxe, élitiste, presque inaccessible. Mais justement : nous avons voulu le rendre plus lisible, plus proche, plus transparent. En rendant visible notre élevage, en ouvrant les portes de notre domaine, en parlant du vivant, de nos poissons, de nos collaborateurs, on recrée du lien. Les jeunes consommateurs attendent du local, du traçable, du responsable. Et ils sont prêts à payer un peu plus si le sens est au rendez-vous. C’est un basculement important pour un secteur comme le nôtre. Aujourd’hui, grâce à nos points de vente, plus de 35 % de nos ventes sont réalisées directement aux consommateurs (BtoC) en France, et ce marché est en croissance constante.

Comment faites vous face au  cahier des charges draconien du Bio ?

Produire du caviar en France, et plus encore du caviar bio, suppose de répondre à un cahier des charges parmi les plus stricts au monde. Et c’est une exigence que nous suivons à la lettre, parce qu’elle correspond à notre vision du métier : produire peu, mais bien, en respectant le vivant à chaque étape. Tout commence avec l’eau. Nous utilisons l’eau de l’Isle, que nous puisons et restituons à l’identique après usage. Elle est analysée en continu en circuit ouvert, et notre système de filtration naturel nous permet de maintenir une qualité exceptionnelle. Nos bassins sont en terre, à faible densité : maximum 25 kg de poisson par mètre cube, là où d’autres modèles montent jusqu’à 60 ou 70 kg. Cette faible densité réduit le stress, améliore le bien-être animal.

Cela a-t-il un impact direct sur la qualité du caviar ?

Impossible de dire le contraire. Les esturgeons sont élevés entre 7 et 10 ans avant de produire leurs œufs. Aucun traitement antibiotique n’est autorisé en bio. Leur alimentation est 100 % biologique, composée de farines et d’huiles de poissons issues de la pêche durable, et d’ingrédients végétaux. Côté transformation, le caviar est préparé manuellement dans notre laboratoire sur place, dans des conditions d’hygiène très rigoureuses. Il est ensuite conditionné et conservé à une température constante, entre 0 et 4°C, pour préserver toute sa fraîcheur et sa texture. En réalité, tout est donc dans le détail.

Pouvez-vous nous parler un peu de la valorisation de l’esturgeon ?

C’est en effet une réalité structurelle de notre filière : le caviar ne représente qu’environ 12 % du poids total de l’esturgeon, mais concentre à lui seul plus de 80 % de la valeur économique du poisson. Cela pose, de façon très concrète, la question de la valorisation du reste du produit. Chez Caviar de Neuvic, nous avons fait de cette problématique un axe stratégique majeur. Aujourd’hui, nous valorisons 95 % de l’esturgeon. Les 5 % restants, non exploitables, sont intégrés à notre système de compostage. Cette approche globale s’inscrit dans notre vision d’une aquaculture durable et responsable. Dans nos laboratoires, nous avons développé une gamme de produits permettant une valorisation fine du poisson : filets d’esturgeon, produits fumés, soupes, rillettes. À cela s’ajoutent des applications plus techniques : collagène destiné à la cosmétique, cuir de poisson, colle naturelle utilisée notamment pour la restauration d’instruments de musique. Chaque matière issue de l’esturgeon peut trouver une destination utile, à condition de s’en donner les moyens. Ce travail de fond permet de créer davantage de valeur, de réduire les pertes, et de mieux faire connaître l’esturgeon au-delà du seul produit caviar. C’est une évolution indispensable pour assurer l’avenir de notre filière.

Quelques mots sur votre département et marque « L’épicerie »  ?

Lancée en 2017, la gamme « L’Épicerie » s’inscrit dans une démarche stratégique visant à diversifier notre offre tout en valorisant l’ensemble de l’esturgeon. Cette gamme propose des produits complémentaires au caviar, à l’esturgeon, et aux produits de notre territoire. Parmi ces produits figurent des rillettes, soupes, esturgeon fumé, taramas produits à la truffe …Cette sélection permet d’enrichir l’expérience autour du caviar. Dans cette dynamique, nous avons également développé la gamme « Fusion », qui comprend des produits d’inspiration japonaise fabriqués en France par des producteurs locaux engagés dans l’agriculture biologique.

De quelle façon touchez-vous votre clientèle ?

Un objectif important de cette diversification est d’attirer une clientèle plus large, moins sensibilisée au caviar traditionnellement perçu comme un produit d’exception inaccessible. « L’Épicerie » offre ainsi une porte d’entrée vers notre univers, en proposant des produits accessibles tout en restant fidèles à notre éthique et à la valorisation intégrale de l’esturgeon. Depuis son lancement, cette gamme représente aujourd’hui près de 25 % de notre chiffre d’affaires et connaît une croissance régulière.

Comment, d’après-vous, le marché du caviar français peut-il faire face à la concurrence chinoise ?

Face à l’essor spectaculaire de la production chinoise, le marché français, et plus largement européen, doit se positionner avec clarté et fermeté. Notre mission est d’incarner une alternative fondée sur des engagements forts, notamment en matière de durabilité et d’éthique. Notre ferme est certifiée bio, et Caviar de Neuvic est labellisée B Corp, reconnaissant ainsi notre engagement sociétal et environnemental. Cependant, cette différenciation qualitative ne saurait suffire sans un cadre réglementaire et commercial équitable. C’est dans cet esprit que nous avons initié la création de l’ECFA. Nous plaidons pour une transparence accrue du marché, une régulation plus stricte basé sur des règes de marché équitables. Le dumping et les subventions à l’exportation pratiqués par les chinois doivent être dénoncés et combattus pour protéger les producteurs européens.

Et la réciprocité commerciale avec la Chine ?

Cette dernière subventionne massivement ses exportations tandis que les producteurs européens sont encore privés d’accès au marché chinois. Cette asymétrie est une source de déséquilibre profond qu’il est urgent de corriger. Enfin, nous militons pour la mise en place d’un étiquetage obligatoire clair et lisible, indiquant à la fois l’espèce d’esturgeon et l’origine du caviar, aussi bien sur les boîtes que sur les cartes des restaurants. Cette transparence est essentielle pour garantir une information fiable au consommateur et valoriser les productions responsables. La production européenne a tous les atouts pour se distinguer : savoir-faire, qualité, engagement environnemental. Mais elle doit s’unir pour lutter et affirmer sa place dans un contexte mondial en pleine mutation.

Il y a là un challenge de taille pour s’imposer…

C’est pourquoi nous militons activement pour un cadre plus équitable et transparent, via des initiatives comme l’European Caviar Farmers Alliance (ECFA), un collectif visant à porter une voix commune auprès des institutions européennes, afin que les acteurs européens puissent défendre leurs intérêts collectivement. Face à cette réalité, la France joue un rôle plus modeste en volume, avec environ 43 tonnes, mais elle s’appuie sur une stratégie résolument différente : la qualité, la durabilité et l’authenticité. Chez Caviar de Neuvic nous pensons qu’un consommateur de produits de luxe s’intéresse aux valeurs de la marque et c’est pourquoi nous mettons les notre en avant : Excellence, Respect et Innovation.

Vous êtes voisin en Dordogne de Prunier. L’union fait-elle la force ?

La société Caviar House & Prunier dispose d’une très belle ferme d’élevage près de chez nous en Périgord et nos actionnaires discutent d’un éventuel rapprochement. Celui-ci est logique, non seulement car nous partageons les mêmes valeurs, mais aussi parce que nous sommes menacés par l’arrivée massive du caviar chinois et que nous devons nous structurer pour y répondre avec une capacité de production et un prix de revient plus compétitifs. Nos marques sont également très complémentaires, ainsi que nos marchés, en France et à l’international.

Comment envisagez-vous le défi de la mondialisation ?

Le concept de mondialisation a bien évolué ces derniers mois et aujourd’hui il ne s’agit plus d’un risque de mondialisation mais uniquement de choix des européens. Nous pouvons déléguer la production du caviar mondial à la Chine, comme on l’a fait pour les panneaux solaires ou les batteries ; ou bien montrer qu’avec des règles de commerce équitables, nous sommes capables en Europe de produire un caviar de la meilleure qualité mondiale, en respectant des engagements environnementaux forts, et avec un prix de revient compétitif.Aujourd’hui dans le monde des producteurs de caviar, seule l’Europe peut résister à la vague chinoise, car elle dispose de la base historique, des compétences techniques et du bassin de consommation.

La production en étangs est-elle un atout ?

Concernant les modes d’élevage, nous travaillons également une partie de notre production en étangs. Cela permet de réduire massivement les densités, et de produire un caviar d’excellente qualité dans de bonnes conditions économiques. Cela nécessite toutefois une grande quantité de bassins et des conditions d’approvisionnement en eau qui sont de plus en plus difficiles à trouver avec le changement climatique. Le développement de ce mode d’élevage permettrait de proposer un complément d’activité à la pisciculture d’étangs qui a été créée en France au moyen âge et qui a beaucoup de mal à survivre à notre époque.

De Neuvic c’est 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. Peut-on parler de réussite indéniable ?

Comme toute entreprise nous travaillons activement à pérenniser notre activité. Cela va passer par un développement de la production pour atteindre une taille critique, et une internationalisation des ventes sur l’Europe pour être moins dépendants de aléas de la consommation française.

Qu’en est-il de l’activité touristique au sein de votre ferme ?

Notre ferme de Neuvic, qui s’étend sur trente hectares et accueille environ 150 000 femelles d’esturgeons, intègre également une écloserie où nous faisons naître chaque année environ 20 000 nouveaux esturgeons. Nous avons choisi de concentrer notre production sur l’espèce Osciètre, reconnue pour la finesse de son caviar et sa bonne adaptation à notre environnement. Cette spécialisation nous permet d’optimiser nos méthodes d’élevage et de garantir un produit d’exception.Sur le site de Neuvic, nous souhaitons poursuivre le développement de notre activité touristique. Montrer ce que nous faisons, et comment nous le faisons, répond à de nombreuses problématiques nous venons de passer en revue. Nous poursuivons notre développement auprès de tous nos types de clients : les familles, les tour-opérateurs, les entreprises, les écoles, les VIP et les professionnels.

Détaillez-nous votre coopération avec le Canada, l’Italie et la Bulgarie.

En dehors de Neuvic, nous élargissons constamment notre éco-système de production. Il s’agit de producteurs, tout comme nous, qui travaillent avec nos standards et nous permettent de proposer d’autres produits. Dans les œufs de poissons, nous avons des partenariats exclusifs avec des fermes de truite et d’ombles et nous avançons avec des pêcheurs Canadiens pour la transformation de leurs œufs de brochets et de corégone. Pour le caviar, nous avons un partenariat très fort avec la ferme Bulgare Aquamash de notre ami Matey qui produit pour nous le Beluga et élève pour nous des Baeri et des Osciètre. Nous avons également des liens étroits avec une ferme Italienne et nous travaillons actuellement sur un partenariat avec des piscicultures espagnoles. Aujourd’hui, ces espaces sont suffisants pour répondre à la demande. Notre philosophie repose sur une croissance maîtrisée et durable : produire mieux plutôt que plus. Cela dit, et comme nous avons parlé, nous envisageons aussi l’avenir en terme de croissance et de taille critique. Pour accompagner notre développement et répondre aux besoins du marché, nous réfléchissons à l’acquisition de plusieurs sites supplémentaires en France.

Quelques mots sur vos différentes collections et gammes de caviar ?

Nous élevons au Domaine deux espèces d’esturgeons : l’Acipenser baerii, qui produit le caviar Baeri, et l’Acipenser gueldenstaedtii, à l’origine du caviar Osciètre. Par ailleurs, nous distribuons également deux autres caviars, le Beluga et le Sevruga, issus de partenariats exclusifs avec des fermes piscicoles respectueuses de nos standards de qualité. Pour les espèces élevées au Domaine : d’une part le Caviar Baeri (Acipenser baerii). Ce caviar offre des grains de petite à moyenne taille, aux teintes allant du gris clair au noir. En bouche, il dévoile une texture délicate et des arômes équilibrés de beurre, d’iode et de noisette. Il est apprécié pour sa régularité et sa finesse. D’autre part, le Caviar Osciètre (Acipenser gueldenstaedtii). Il se distingue, lui, par ses grains moyens à la robe dorée ou brun foncé, une texture ferme et soyeuse. Ses saveurs complexes mêlent notes iodées, fruits secs et une touche crémeuse. Il faut attendre entre 8 et 10 ans pour obtenir les premiers œufs.

Et pour les caviars distribués en partenariat ?

Il y a le Caviar Beluga (Huso huso) élevé dans un lac de montagne en Bulgarie via notre partenaire exclusif. Ce caviar provient de l’esturgeon Beluga, espèce à cycle long (minimum 18 à 20 ans). Il est reconnaissable à ses gros grains gris perle, sa texture crémeuse et sa puissance aromatique. Mais aussi le Caviar Sevruga (Acipenser stellatus). Ce caviar, rare en élevage, est issu d’un esturgeon à la silhouette fine et élancée. Il présente de très petits grains de couleur anthracite. Considéré autrefois comme un caviar de connaisseurs, il se distingue par ses notes puissantes et une belle intensité aromatique.

Comment établissez-vous le pont entre caviar et instant « apéro chic »  parmi les nouvelles tendances gastronomiques ? 

Le caviar est longtemps resté associé à une consommation formelle, parfois intimidante, réservée aux grandes occasions. Notre ambition est de renouveler cette image, en accompagnant une évolution plus spontanée de la dégustation notamment à l’apéritif. Aujourd’hui, l’apéro chic s’impose comme un véritable moment de gastronomie décontractée. Nos clients cherchent des produits d’exception, mais accessibles dans l’usage : à partager, à déguster entre amis, sans mise en scène figée. Dans ce cadre, le caviar trouve naturellement sa place, à condition d’en réinventer les codes. C’est pour cela que nous avons développé des formats adaptés petites boîtes, coffrets découverte, recettes signatures et diversifié nos propositions autour du caviar (rillettes, beurre de caviar, œufs de poissons…). Ce travail sur les usages va de pair avec une approche plus pédagogique en boutique comme sur nos supports digitaux, pour désacraliser le produit sans en altérer la qualité.Ce repositionnement répond aussi à une réalité économique : comme la plupart de nos confrères, plus de 80% de notre chiffre d’affaires est réalisé au mois de décembre. Cela confirme que le caviar reste un produit de fêtes, mais aussi que notre enjeu est de l’inscrire dans d’autres moments de consommation tout au long de l’année

En tant que « champion » plébiscité du caviar français que préparez-vous pour 2026  face aux taxations américaines notamment ?

Nous ne sommes malheureusement pas présents sur le marché américain. C’est dommage car c’est le marché qui a connu la plus grande croissance depuis 10 ans. C’est un marché ultra dominé par le caviar chinois et un pays difficile d’accès commercialement, où les erreurs peuvent coûter très cher. Nous restons donc en retrait sur ce marché pour le moment. Nous pensons que la meilleure stratégie pour s’y développer, serait de créer une ferme sur place. Nous respecterons ainsi notre ADN de producteur, tout en montrant les valeurs que nous pouvons porter grâce à l’élevage : Excellence, Respect et Innovation.

Les trois grandes gammes de Caviar de Neuvic :

Signature. Sélection rigoureuse de poissons, grains homogènes, texture souple, bon équilibre aromatique : Baeri Signature : 75 € les 30 g / Osciètre Signature : 89 € les 30 g / Sevruga Signature : 90 € les 30 g / Beluga Signature : 192 € les 30 g

Réserve. Caviars issus de poissons plus âgés, offrant des grains plus expressifs, une complexité aromatique renforcée et une longueur en bouche marquée : Baeri Réserve : 120 € les 30 g : Osciètre Réserve : 132 € les 30 g  / Beluga Réserve : 300 € les 30 g

Biologique. Premier caviar bio français certifié, issu de l’Acipenser baerii, élevé selon un cahier des charges strict : alimentation bio, faible densité, circuit ouvert, laboratoire certifié : Caviar biologique : à partir de 89 € les 30 g. Ce caviar se caractérise par sa fraîcheur, une texture fondante et des saveurs pures, avec des notes beurrées et légèrement noisettées.