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Bistrot de Paris : l’ombre de Gainsbourg

Institution de la rue de Lille, inchangée depuis 1905, le Bistrot de Paris servit de cantine à Serge Gainsbourg, jusqu’à son dernier repas. Le restaurant s’est fait témoin de nombre de ses déjeuners du quotidien comme de ses meilleurs festins.

À trois rues de sa maison de la rue de Verneuil, le Bistrot de Paris, brasserie traditionnelle française – imprégnée d’un esprit littéraire marqué par la venue d’André Gide ou de Paul Valéry auparavant – aurait pu être façonné sur mesure pour son fidèle client Serge Gainsbourg.

Timide et farouche comme il l’était, sa table de prédilection ne put qu’être située en fond de salle, face au bar. Un emplacement de choix, à son image de surcroit. Elle-même, cette place, a conservé son âme d’antan, si bien que sa banquette en velours rouge et ses vitraux fleuris d’origine y sont restés intacts.

À côté, une cuisine ouverte, concept rare pour l’époque et cette proximité avec les cuisiniers n’était pas pour déplaire à Serge Gainsbourg. En guise de soutien, le chanteur leur glissait quelques billets que, jusqu’à preuve du contraire, il ne brûlait pas toujours.  C’est indéniablement son gosier qu’il brûlait, notamment pour arroser la publication chez Gallimard, de son premier roman Evguénie Sokolov, ouvrage bref et sophistiqué qui lui ressemble dans le style.

Si le Bistrot de Paris est aujourd’hui le siège de nombreux prix littéraires, c’est que son passé littéraire lui colle à la peau. Ses fantômes trônent au-dessus de ses napperons blancs qui hélas nécessitent des heures de nettoyage chaque jour, au prix de la préservation de cette âme d’antan et de sa mise en évidence.

La table préférée de Gainsbourg, à côté des cuisines.

Derrière un tableau de Gainsbourg signé de la main de son photographe Tony Frank, dans le périmètre voisin de la table attitrée, une fresque stupéfiante remplie de symbole attire l’attention. Dessus cohabitent une nuée de fantômes des années 60-70-80, scellés dans les murs à tout jamais. Sagan, Dali, Deneuve et bien-sûr Gainsbourg, trinquent, festoient ensemble comme dans un roman de Fitzgerald. Le champagne pétille, les victuailles abondent, il est l’heure de vivre.

Au bistrot de Paris, on trinque et on vit tout autant en compagnie de ces fantômes qui nous replongent dans les plaisirs de la bonne chair, associée au terroir. Œuf mayonnaise et sa macédoine, œufs brouillés à la truffe, St Jacques et fondue de poireau, confit de canard… La mousse au chocolat n’est pas sans rappeler celle de grand-mère, ferme et fondante, à la note subtile de fleur de sel. Des murs à l’assiette, le bistrot de Paris renferme son histoire et la transmet aisément, sans exubérance.

Photo en haut : Nappe blanche, velours rouge et cette étonnante fresque