Après avoir ferraillé pour le compte de la reine dans un premier volet des Trois Mousquetaires, couronné de succès, François Civil emprunte d’autres chemins. Ceux boueux et enragés d’Une Zone à défendre de Clément Cogitore (Goutte d’or) où il s’éprend à nouveau d’un personnage interprété par l’impétueuse Lyna Khoudri. Sollicité, acclamé, enthousiaste, François Civil voit à 33 ans sa carrière prendre le large vers un cap assurément heureux. L’acteur garde la tête froide. Sans pour autant forcément apprécier la voir à l’écran.
Deuxième fois que vous vous faites séduire par Lyna Khoudri dans Une Zone à défendre. Tout juste après le premier volet des Trois Mousquetaires…
C’est vraiment une chance d’avoir des atomes crochus, une amitié qui se crée comme ça, si vite sur un plateau. Quand vous avez devant vous une partenaire aussi talentueuse que Lyna, qui ne se prend pas au sérieux pour autant, qui aborde le travail de manière légère par moment tout en restant en permanence très concentrée, c’est vraiment très agréable. Je pense que lorsque Lyna choisit un film, elle sait profondément pourquoi. Elle va au bout des choses. Elle m’inspire beaucoup. Je suis très admiratif de son travail. Et nous nous entendons très bien. Cela va faire un an que nous travaillons ensemble. Tous projets confondus.
Alors pourquoi avoir choisi personnellement celui d’Une Zone à défendre ?
Pour ma part, c’est quelque chose de très personnel. Je connais Romain Cogitore depuis longtemps. J’étais dans son premier film, Nos résistances, en 2010. Nous nous suivons, lui et moi, depuis pas mal de temps. Nous prenons des nouvelles l’un l’autre même si nous ne nous voyons pas en permanence. Nous avons souvent évoqué des sujets de films ensemble. Nous discutons aussi de la vie, du monde, de nos envies. De ce qui nous fait bouger. Je n’étais pas surpris lorsqu’il m’a proposé de lire un scénario sur ce sujet-là. Une Zone à défendre possède une grande force cinématographique. Je trouve que le suspense lié à l’infiltration du policier fonctionne très bien. Comme le mélo au milieu, les belles émotions… Tout ça sur fond de ZAD comme, je trouve, on ne l’a jamais vue filmée. Un microcosme secret qu’il a beaucoup étudié, dans lequel il est réellement allé. Avec l’arrivée de Lyna, tout était réuni pour que je fonce.
À travers ce genre de choix, vous considérez-vous comme un acteur « politique » ?
Je ne saurais pas vraiment définir ce qu’est un acteur « politique » comparé à un acteur qui ne l’est pas. Pour tout dire, je ne suis pas beaucoup la politique. Le monde de la politique me rebute. Politise-t-on nos choix en tant que comédien ? Cela dépend. Quand je tourne Les Trois Mousquetaires, je suis très heureux de participer, comme un gosse, à un grand film de divertissement. Et ensuite de faire Une Zone à défendre, avec un fond politique qui me touche beaucoup et qui me questionne. Je ne suis pas zadiste en l’occurrence. Mais je reste très admiratif des gens qui sacrifient une partie de leur vie pour leurs convictions. Et qui ne corrompent par leurs exigences philosophiques et éthiques. Ils ne sont pas dans le déni et vont tellement au bout de leur engagement qu’ils rentrent dans une forme de radicalité. Je pense qu’on a besoin de gens comme ça dans notre société…
De personnes radicales ?
En tout cas sur certains sujets, j’entends. Sur la justice sociale, l’égalité, le bien commun, le « vivre ensemble », l’écologie… On a tellement déraillé dans ce monde malade que je suis assez heureux de voir des gens qui, à leur corps défendant, s’engagent.
Pour quelle cause seriez-vous prêt vous-même à « tout casser » ?
C’est une question de tempérament que peut-être, moi, je n’ai pas. Les gens qui s’engagent sont souvent des personnes touchées dans leur chair, dans leur vie. Et qui ont une émotion tellement profonde par rapport à ce qu’il leur est arrivé que, du coup, ils basculent dans un engagement très fort. Radical on y revient. Personnellement, j’ai l’impression d’essayer de tout nuancer. En tant qu’artiste, j’essaye de questionner, d’interroger les choses plutôt que de les plaquer au visage des gens.
Les Trois Mousquetaires est couronné de succès. Êtes-vous devenu un acteur « populaire », François Civil ?
Ça, je n’en sais rien. Je reste François dans ma petite vie. Mais ce que je remarque, c’est que, chemin faisant, on m’arrête de plus en plus souvent dans la rue. Et je vois que 400 000 personnes me suivent sur un réseau social même si, dit comme ça, cela peut paraître abstrait. C’est vrai que les 3 millions de spectateurs pour Les Trois Mousquetaires, cela a quelque chose de presque vertigineux. Suis-je devenu un acteur populaire ? Je n’en ai aucune idée. Je ne réfléchis pas de cette manière. J’ai surtout l’impression d’être très en veine. J’ai la chance de me lancer dans des projets qui m’inspirent beaucoup, m’enrichissent et me donnent envie de me lever le matin pour aller travailler.
Rien qui ne vous chagrine dans votre profession ?
Je dirais que le plus pénible pour moi, c’est de parler de moi. Tout le moment de la promotion d’un film, par exemple, c’est ce que je redoute. Même si, au fond, ça se passe bien. Là, nous discutons et je ne suis pas dans une situation de malaise extrême. C’est un moment que j’appréhende finalement plus qu’autre chose. Nous sommes tellement confrontés à notre propre image en tant qu’acteur. C’est une situation qui ne m’apporte pas de bonnes énergies. J’essaye d’éviter de trop parler de moi. C’est un moindre mal.
Quel serait donc l’avantage de la célébrité ?
Je l’ignore. C’est une réflexion qui me revient pourtant souvent. C’est vrai que j’ai plein de privilèges. Je ne vais pas bouder mon plaisir, je suis heureux d’en jouir. Néanmoins, l’anonymat me reste très cher. De le perdre me serait très pénible. En tout cas, artistiquement, la célébrité me permet de prendre le temps de choisir des projets qui me bouleversent, qui me touchent. Et les personnes avec qui j’aimerais travailler vraiment.
Quel rôle n’accepteriez-vous jamais ?
Un rôle mal écrit. Mais il n’y pas vraiment d’archétype de rôle que je refuserais de faire. J’ajouterai même que plus un rôle est éloigné de ce que j’ai pu tourner précédemment, plus il m’excite. Je suis toujours à l’écoute des propositions les plus farfelues.
Quelle serait votre plus grande déception jusqu’à maintenant ?
Professionnelle, j’imagine ?
À moins que ce soit une peine de cœur…
Ça, c’est intime ! (Rires) D’un point de vue professionnel, je ne suis jamais content des films que je fais. Même si j’en pense plein de choses positives, que je sais que c’est un film de bonne facture, je suis tellement à l’image que lorsque je le vois, je n’arrive pas à l’apprécier. Je ne suis pas forcément déçu, parce que je n’ai jamais d’attente. Je flippe tout simplement. J’ai du mal à me regarder et, du coup, à aimer pleinement les films dans lesquels je suis. Après, pour vous répondre plus précisément, j’avais été pris sur un projet international, un film dans lequel je jouais le mime Marceau. Nous étions à quelques semaines du tournage à Budapest. Cela faisait des mois que je me préparais. Et, quasiment sans préavis, le film est tombé à l’eau. Je n’avais plus personne à qui parler. Ni le producteur, ni le réalisateur. Ça s’est arrêté net. Là, j’étais déçu. Mais, une semaine après, le réalisateur Antonin Baudry m’appelait pour Le Chant du loup.
Avez-vous des vices ?
C’est un vice que je partage avec Lyna Khoudri : les bonbons. Je suis un vicelard du bonbec !
Vous voyez-vous vieillir en tant que comédien ?
Pas du tout. Je ne fais aucune projection. Je ne me vois absolument pas en vieux comédien. Je prends les choses comme elles viennent et je suis même assez en paix avec l’idée de disparaître un jour des écrans. Volontairement ou pas d’ailleurs. Faire autre chose. Raconter des histoires mais différemment.
En tant que réalisateur ? Romancier ?
Écrire, non. Peut-être faire de la musique. Je n’en sais rien. En tout cas, je n’ai pas cette aspiration à penser que je serai acteur jusqu’au bout.
Vous risquez donc de nous « annuler de votre monde » pour reprendre la formule désormais célèbre d’Adèle Haenel…
Je ne le dirai pas en ces termes. En même temps, j’en parlais récemment avec Pio Marmaï. Je lui disais : « Allez, on arrête tout ! » Il m’a répondu : « Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’autre ? » Il n’a pas tout à fait tort. Ça fait peur. Il y un livre que j’aime beaucoup, Soie, d’Alessandro Baricco, qui raconte quatre voyages d’un jeune homme sur la route de la soie au 19e siècle. Au sujet des autres vies possibles que nous pouvons nous raconter, je trouve cela très beau. Je garde toujours ça en moi, l’idée de partir, de faire complètement autre chose. Et que, quoiqu’il arrive, ça marchera.
Une Zone à défendre de Clément Cogitore avec François Civil, Lyna Khoudri… sur Disney+ le 7 juillet.
Publié dans Edgar numéro 110
Signature « historique » d’Edgar pour le cinéma, lecteur insatiable, collectionneur invétéré d’affiches de séries B et romancier sur le tard (Le Fantôme électrique, éd. Les Presses Littéraires).
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