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Le Marmaï nu

Tout ce que vous souhaitez savoir – ou presque – sur le prolifique comédien de 38 ans. En attendant Les Trois mousquetaires sur le feu des sorties de 2023, Pio Marmaï clôt une riche année avec deux longs-métrages : Pétaouchnok, comédie de débrouille chorale et champêtre signée Édouard Deluc, et Tempête, drame familial chevalin mis en selle par Christian Duguay (Jappeloup). Du pain sur la planche et, avec franchise, pas mal de choses à raconter…

Avoir une mère chef costumière et un père scénographe, cela évite-t-il le coup de taloche lorsqu’on leur dit : « Je veux être acteur ! » ?
Les chats ne font pas des chiens de manière générale. Mais, au début, comme n’importe quel enfant, je n’étais pas non plus dans la réception pure du travail de mes parents. J’étais simple spectateur sans forcément avoir envie de poursuivre dans cette voie. Petit, j’allais aux répétitions à l’opéra sans vraiment comprendre ce qui m’arrivait. Wagner, pendant 4 heures et demie, à l’âge de 8 ans, ce n’est pas la chose que vous avez spécialement envie de voir. En tout cas, vous n’avez pas encore l’écoute ni la patience pour.

Comment « faire l’acteur » s’est-il donc révélé à vous ?
Un peu par hasard. J’avais pris option théâtre au lycée. Petit à petit, j’ai réalisé que je pouvais être payé pour ce travail, m’amuser avec les gens et en faire mon métier. Jamais, en tout cas, mes parents ne m’ont empêché de faire quoi que ce soit. Ils m’ont simplement dit : « Quoique tu choisisses, tache de le faire correctement. » Comme tous les parents, j’imagine.

Pio Marmaï, photo par Arno Lam

Vous êtes strasbourgeois…
Sans accent. Même si je peux très vite le retrouver quand j’y retourne…

À vos débuts, venant de province, avez-vous ressenti le côté « Rastignac à Paris » ?
Un petit peu. Entre-temps, j’étais passé par L’École de la Comédie de Saint-Étienne. Arrivé à Paris, je n’étais pas du tout dans l’idée de faire du cinéma. Ce n’était pas ma démarche. J’étais dans un collectif, je faisais des spectacles… Encore une fois, le cinéma est venu par hasard. Il y a eu Le Premier Jour du reste de ta vie, ce film à la trajectoire assez surprenante. J’ai eu « le cul bordé de nouilles » comme on dit. De mon côté, je me voyais continuer sur les planches toute ma vie.

Et vous vous retrouvez nominé, en 2009, César du Meilleur espoir masculin pour Le Premier Jour du reste de ta vie…
Rémy Bezançon, le réalisateur du film, m’envoyait les chiffres : 600 000, 800 000 entrées… Au départ, tout cela me paraissait abstrait. Je sortais du théâtre, moi, d’un cube, d’une boîte ! Avec les César, j’ai commencé à percuter. Il se passait un truc. Je sentais une sorte d’excitation autour de moi. Alors qu’avant, les directeurs de casting, ils n’en avaient rien à faire. Ils s’en fichaient complètement de moi. Ce que je peux comprendre amplement.

Le cinéma a-t-il fini par vous dévorer ?
Assez. Bien que j’aie arrêté un moment pour pouvoir retravailler au théâtre sur Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès. Il y a des moments comme ça où il ne faut pas rater un rendez-vous, un ressenti intérieur. Sinon, vous finissez par tourner en rond. Il fallait que je trouve une autre écriture, d’autres textes, quelque chose qui me nourrisse différemment. Je fonctionne beaucoup comme ça.

Pio Marmaï, photo par Arno Lam

La pièce de Koltès avait, en son temps, rencontré beaucoup d’hostilité…
À sa création, oui, dans les années 90. Dès que vous touchez à des sujets aussi délicats, je peux le comprendre. Ce n’était pas un texte anodin, à la fois très poétique et allégorique. Je ne m’en suis pas tout de suite rendu compte mais jouer Roberto Zucco pendant six mois, un personnage qui a tué sa mère puis qui tue quatre autres personnes, m’a beaucoup atteint. Je me souviens avoir été très nerveux. Y compris dans ma vie privée. Je ne me reconnaissais plus. Peut-être m’étais-je beaucoup trop investi à l’époque.

Cédric Klapisch, Pierre Salvadori, Catherine Corsini… Êtes-vous du genre fidèle en collaboration ?
Il faut prendre du plaisir à travailler avec les gens. Pierre, Catherine, ce sont des personnes dont j’aime le travail. Je mets notre collaboration au même niveau que notre amitié. Aucun des deux ne prend le dessus. Je suis quelqu’un d’assez anxieux, mine de rien. Et de travailler avec des amis, cela me met une pression supplémentaire. Je n’ai aucune envie de les décevoir.

En parlant de déception…
J’ai toujours cette impression qu’une collaboration va soit marcher très très fort, soit pas du tout. Ce n’est pas une posture. Je ne peux fonctionner que comme ça. Je ne travaille aucunement dans la douleur. Mais j’essaye de voir au mieux, en amont, vers où je vais aller. Il est nécessaire que je m’investisse. Là, je termine le tournage d’Une Année difficile d’Olivier Nakache et d’Eric Toledano. Je n’ai jamais été aussi fatigué de ma vie. Une fatigue très saine, je ne me plains pas. Aujourd’hui, je souhaite aller de plus en plus au bout de mes propositions. Parfois avec maladresse, parfois avec excès. C’est aussi au metteur en scène de savoir calmer le jeu, de me dire exactement ce qu’il veut.

Récemment pharmacien véreux, flic super-héros, maintenant guide de montagne totalement amateur et bientôt le mousquetaire Porthos… Quel serait donc votre ligne directrice ?
Il faut que je m’amuse un peu, dans la tranquillité, que je vive quelque chose, un voyage. Même si l’aventure peut parfois s’avérer difficile. Il faut que je me sente « traversé » par le scénario, l’écriture et la surprise que je peux en tirer. Et puis de pouvoir travailler avec certaines personnes. Le choix de ses partenaires à l’écran, ce n’est jamais anodin.

Photo © Roger Arpajou

Sentez-vous que le métier d’acteur est en train de changer ?
Oui. Je me rends compte d’une fébrilité réelle face à la problématique de la baisse de fréquentation des salles. La situation est indéniable. Elle se répercute sur les recettes. Il faut que les investisseurs retrouvent leurs billes également ! C’est étonnant, le public retourne au théâtre, à l’opéra, dans les musées mais beaucoup moins au cinéma. J’ignore à quoi cela est dû. Aux circonstances ? Les gens préfèrent rester chez eux regarder un film plutôt qu’au cinéma ? Un film chez soi ou sur grand écran, cela n’a rien à voir. Il faut savoir admettre qu’une époque est révolue : faire 250 000 entrées aujourd’hui, cela équivaut à peut-être 500 000 il y a dix ans. Toute la profession est en train de se demander, à différentes échelles, comment redonner, par des actions, de la promotion, le désir de retourner en salles. Si on se dit que c’est dorénavant foutu, il ne se passera plus rien.

Cinq films sur les écrans en 2022. Jamais la crainte d’être trop vu ?
Il y a aussi eu cette histoire de Covid qui a bouleversé tous les plans. Vous tournez et les films s’embouteillent. Il faut bien les sortir. Je ne peux pas non plus refuser un projet cohérent. Je n’ai pas envie de saturer non plus les écrans. Mais je n’ai pas l’impression pour l’instant d’être une plaie pour le public. Si jamais c’est le cas, il me le fera sentir très vite.

Photo © Roger Arpajou

Finalement, vous n’êtes jamais « seul » en haut de l’affiche. Vous y apparaissez au minimum en tandem, très souvent en équipe…
Porter un film sur mes épaules, ce n’est pas une étape que j’ai encore franchie. En fait, je suis la dynamique des metteurs en scène. Je ne suis qu’un exécutant. Et travailler en collectif, comme sur Pétaouchnok, ça me fait plaisir. Que faire sinon ? Me retrouver seul dans une salle de bain à me regarder dans un miroir ? Peut-être y aura-t-il un jour un film superbe avec moi dans une salle de bain avec moi, mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Peut-être est-ce le souvenir presque inconscient des années de troupes, au théâtre, dans votre jeunesse ?
C’est très possible, oui. J’ai eu aussi pendant des années un garage où je faisais de la sérigraphie avec un collectif d’artistes. Je fabriquais des véhicules, je dessinais des affiches, des posters, des t-shirts… Travailler en commun crée un sentiment de confiance, c’est une manière de s’épauler. La puissance du groupe est inattaquable. Faire la bouffe pour tout le monde, par exemple, ça consolide. Ça a l’air idiot à dire, mais c’est comme ça. Il y a beaucoup de bienveillance. Même lorsqu’on se dispute. Moi, gamin, j’avais vu mes parents s’arracher la gueule avec des metteurs en scène de génie. C’est comme ça que les choses avancent également.

Photo © Roger Arpajou

C’est donc le cas de Pétaouchnok…
C’est d’abord une histoire d’amitié avec le réalisateur Édouard Deluc (Gauguin, Temps de chien…). J’étais très heureux que nous ayons enfin ce projet ensemble. J’y reviens encore : un travail collectif, une véritable traversée. Dans les Pyrénées Orientales, au milieu de nulle part avec des chevaux… Nous étions une équipe réduite, un groupe assez fort avec beaucoup de textes pour les comédiens. J’ai pu tourner avec Philippe Rebbot. J’aime beaucoup ce mec. Un type à la fois assez lunaire et très concret. Il a cette capacité à vous saisir au cœur et vous faire marrer la seconde d’après. Quelle putain d’expédition ! Avec le recul, nous avons tous bien rigolé.

Tempête de Christian Duguay, c’est encore une histoire de chevaux…
Christian, il gère de grosses machines avec une élégance, c’est stupéfiant ! À 65 ans, il possède une énergie époustouflante. Il réussit à vous faire un film familial, avec des scènes traversées de sentiments assez simples, une histoire accessible renforcée par une véritable ambition visuelle. Les scènes de sulky, que j’ai faites moi-même. Derrière les rênes. Et soudain, ça tourne à l’épopée, au péplum. J’ai halluciné qu’il m’autorise à conduire des chevaux. Je sais que ça ne me sert pas de dire cela, mais je me suis quand même fait un peu peur.

Pio Marmai dans le film Tempête.

Fini pour vous la viande de cheval ?
Non, j’en mangerai toujours ! (Rires)

Finalement, votre grande ambition pour l’année prochaine ?
Tourner un film avec un budget minimal. Un mois de préparation. Un mois de tournage. C’est tout. Pouvoir diriger d’autres acteurs et réfléchir à mon rapport à l’image. Je débute bientôt le prochain Quentin Dupieux. Trois semaines de préparation et une semaine de tournage non-stop dans un lieu unique, un théâtre. Pour moi, c’est une forme d’aventure. Ce que lui appelle un « film pirate ». Quand il m’en a parlé, cela a immédiatement fait écho à la faisabilité de mon projet : une sorte de geste mais où tout le monde devrait s’y retrouver. Je refuse que quiconque se sente biaisé. Bien au contraire.

Le premier volet des Trois Mousquetaires sortira en avril 2023. Vous sentez-vous prêt, en cas d’immense succès, à devenir… « acteur populaire » ?
Cela m’enchante. Surtout pour un tel produit. 150 jours de tournage, ça n’a pas été de la blague ! Je n’ai jamais eu le sentiment que nous exploitions une grande œuvre classique française pour un résultat médiocre. Je savais que le film avait de l’ambition, que j’allais me retrouver projeté dans un autre univers, avec des centaines de figurants, des costumes, des animaux… Un délire ! Et, en même temps, au cœur de tout ça, il y a une écriture, une poésie, une langue, soignées et belles. C’est un film généreux et dingue à la fois. Pas quelque chose que le public a l’habitude de voir.

Pétaouchnok d’Édouard Deluc avec Pio Marmaï, Philippe Rebbot, Olivia Côte… Sortie le 9 novembre.
Tempête de Christian Duguay avec Mélanie Laurent, Pio Marmaï, Carmen Kassovitz… Sortie le 21 décembre.

Publié dans Edgar numéro 107