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Jesse Eisenberg l’homme (pas si) tranquille

(Il a été) Mark Zuckerberg pour le compte de David Fincher dans The Social Network . Chasseur de morts-vivants dans le diptyque à succès Zombieland . Ou Lex Luthor face à Batman et Superman chez Zack Snyder. A 36 ans, Jesse Eisenberg est un comédien que n’effraient pas les tournages des blockbusters ni ceux de films plus intimistes ou complexes. Vivarium fait partie de ces derniers : l’histoire d’un piège qui se referme sur un jeune couple obligé d’éduquer un enfant livré à eux dans un carton.

Dans Vivarium, vous interprétez un homme prisonnier, avec sa jeune compagne jouée par Imogen Poots, d’un étrange et labyrinthique quartier résidentiel. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le projet ?

Aussi irréel et abstrait qu’il puisse paraître, le film parle avant tout des peurs bien concrètes que peuvent ressentir les jeunes couples lorsqu’ils décident de faire le grand saut. C’est-à-dire s’installer ensemble, fonder une famille… Vivarium se saisit de ces angoisses que chacun peut ressentir dans son existence pour les extrapoler et en faire un conte cauchemardesque. Cette anxiété qui traverse le film, je pense que tout le monde peut l’avoir ressentie en mûrissant. Moi en premier. Et j’ai beaucoup aimé la manière dont le réalisateur Lorcan Finnegan l’a amplifiée. Avec, visuellement, beaucoup de style et d’imagination.

Vous alternez non sans réussite grands projets populaires et films bien plus intimistes. Est-ce une Volonté chez vous de varier les plaisirs ou une coïncidence ?

Une pure coïncidence. Sincèrement, je ne m’imaginais pas du tout dans un grand nombre de rôles qui m’ont été proposés. Il y a aussi le facteur chance. Cela m’a beaucoup aidé dans ma carrière. Ce qui est plus évident, c’est qu’étant donné l’économie du cinéma, fonctionner dans un registre plus populaire vous permet d’apparaître ensuite dans des films peut-être moins accessibles. Votre présence à l’affiche a un effet sécurisant.

Votre versatilité évite-t-elle l’ennui ?

J’imagine que oui. Et j’écris également. Je vais terminer un roman que je compte publier en audio-livre. Je ne veux pas avoir la sensation de m’éterniser sur les plateaux de tournage tout au long de l’année. Quand vous avez un métier créatif, c’est toujours mieux de savoir changer votre fusil d’épaule. Cela aiguise votre inventivité, vous trouvez de nouvelles idées… S’ennuyer dans une profession pareille, ce serait une horreur.

Jesse Eisenberg, écrivain…

J’avais déjà publié un recueil de nouvelles il y a quatre ans, La Dorade me donne le hoquet. J’ai aussi écrit quatre pièces de théâtre qui ont été jouées dans le monde entier.
Mais vous amusez-vous toujours autant en tant que comédien ? Bien sûr. Je suis en train de préparer le rôle d’un mineur. Je veux dire d’un type qui creuse dans les mines… Je me muscle, je prends du poids, j’apprends les gestes du personnage. Je trouve cela très intéressant. Je vais être plongé dans cette expérience pour les trois mois à venir et, ensuite, ce sera terminé. C’est très stimulant de s’impliquer dans des choses d’une durée aussi limitée. Cela permet de toujours rester alerte.

Pour revenir à Vivarium, quel serait votre plus grand cauchemar ?

Dans le film, les personnages sont condamnés à mener la même et indolente existence pour toujours. Comme une malédiction. Pour quelqu’un comme moi, qui aime tant faire de choses différentes, une telle monotonie serait source de grande terreur.

Quelle relation entretenez-vous avec votre public ? Parce qu’il est varié : fans de Superman, de zombies ou de Woody Allen…

N’étant sur aucun réseau social, j’avoue ne pas vraiment voir qui s’intéresse de près à ma filmographie. Le public, je le rencontre lorsque je joue mes propres pièces à New York ou au moment où mon livre venait d’être édité. Je sais qu’ils viennent à ma rencontre après m’avoir vu au cinéma. Si je n’étais pas dans l’industrie du film, les choses n’auraient pas été aussi simples. Il y a des formes de divertissement qui sont plus subtiles que d’autres mais attirent moins l’attention ou la publicité. Lorsque des gens me disent qu’ils viennent pour la première fois de leur vie au théâtre parce qu’ils m’apprécient à l’écran, je trouve cela assez sympathique.

(A l’autre bout du fil, une sirène retentit au loin…)

Je suis désolé. Il y a beaucoup de bruit. Il y a un rassemblement de bébés chez moi (son fils est né en 2017, ndlr) et j’ai été littéralement jeté à la rue ! C’est comme dans Vivarium. C’est en train de m’arriver ! En plus il pleut des cordes…

Rassurez-nous : il y a quand même des choses positives dans la paternité ?

Bien sûr. A part ce qui se passe là, être père, c’est phénoménal !

Jusqu’à maintenant, votre expérience la plus satisfaisante ? Professionnellement ?

Je prépare un show télé qui sera tourné en Bosnie. A la fac, j’avais étudié l’anthropologie. Je m’intéresse beaucoup aux autres cultures. C’est une expérience très excitante, chercher de nouveaux comédiens, des lieux de tournage inconnus dans un pays étranger…

Vous campez le mime Marcel Marceau dans Résistance qui sort fin mars aux États-Unis. Connaissiez-vous le personnage auparavant ?

Oui. Ma mère est clown professionnel. Elle a aussi fait du mime. Elle aimait se grimer comme lui. Elle l’a même vu jouer il y a une quarantaine d’années. Je le connaissais donc mais j’ignorais qu’il avait sauvé des enfants pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est un sujet qui m’a particulièrement touché parce que j’ai perdu une partie de ma famille durant cette période. Elle venait d’une ville très proche de celle dont était originaire le père de Marcel en Pologne. C’est un projet très personnel pour moi du fait de mes origines juives, de mon métier d’acteur et de celui de ma maman. Une combinaison merveilleuse.

Ce n’est pas la première fois que vous incarnez à l’écran un personnage réel – Mark Zuckerberg en tête dans The Social Network de David Fincher en 2010. Est-ce un canevas que vous appréciez particulièrement ?

Mais, vous savez, ces personnages, même réels, passent toujours par le filtre de ceux qui sont à l’origine du projet. Le fondateur de Facebook que vous voyez à l’écran est celui imaginé de manière très éloquente et intense par Aaron Sorkin, le scénariste du film. Pareil pour Marcel Marceau. Peut-être que le personnage est perçu de manière beaucoup plus romantique qu’il ne l’était dans la vie. Ensuite, il passe par le tamis de l’acteur qui l’interprète. Pour tout dire, les personnages de la vie réelle ne font pas forcément les héros de fiction les plus passionnants. Il faut savoir épicer un peu le tout. Mais pour un acteur, c’est très motivant de retrouver et d’analyser des interviews ou des témoignages de gens qui les ont connus. Une aide précieuse pour construire le rôle.

A 36 ans, qu’auriez-vous encore envie d’accomplir ?

La mise en scène. Déjà, pour mon projet en Bosnie. Puis, plus tard dans l’année, je compte réaliser un long-métrage. En France, je suis ami avec Félix Moati. Il a signé son premier film l’année dernière (Deux fils avec Benoît Poelvoorde, ndlr) et nous avons beaucoup échangé sur le sujet. Nous nous ressemblons énormément Félix et moi. Nous avons les mêmes centres d’intérêt, les mêmes angoisses… Partager son expérience m’a beaucoup inspiré personnellement jusqu’à me décider de me lancer dans mon premier long-métrage.

Photos © SHUTTERSTOCK

Publié dans Edgar n°100.