Il est sans doute le seul pianiste français à se produire à Bercy en novembre. Rencontré aux Francofolies de la Rochelle cet été, Sofiane Pamart ne s’attarde jamais sur la facilité. Ce n’est pas un hasard si les mains se lèvent.
« Les gens perçoivent tout, je suis transparent. », sont les mots de Sofiane Pamart, à priori aux antipodes de ce visage dissimulé derrière des vitres fumées. Les apparences sont trompeuses.
Le temps manque, notre artiste n’a que quelques minutes à accorder à l’entretien avant les répétitions. Les Francofolies battent leur plein pour la première fois depuis la pandémie et la salle de la Coursive est déjà sur le qui-vive, à l’approche du grand soir.
Le temps manque mais déjà l’éminente ambiguïté teintée de mystère, de ce personnage qui, à travers la musique se libère, saute aux yeux. Le virtuose est comme sa partition : une fusion de blanches et de noires. Il ne se ment pas. Il se protège, d’où la présence de ce chapeau blanc captant la lumière du ciel, dissocié de l’ensemble. Son visage ne tarde pas à s’illuminer, depuis le canapé molletonné de son studio provisoire, installé dans le sublime hôtel de la Monnaie. Aussi, quand la lumière le gagne, elle l’habite, et pour longtemps. Petit, déjà, pour cet ainé d’une fratrie de trois, c’était la gloire ou rien. Devenir le meilleur. Le meilleur du conservatoire, le roi des pianiste – le bien nommé « Piano King » – et c’était écrit noir sur blanc dans la partition de sa vie. Mais ce désir de briller en rien n’efface l’impressionnante humilité dont il fait part durant tout l’entretien.
Sa parure, davantage proche de celle d’un rappeur, contraste étrangement avec le registre classique inhérent à son œuvre et à sa formation. D’influences, il ne parle jamais : « Ce sont les expériences qui, jointes bout à bout m’ont mené jusqu’ici. » À cela, il ajoute une vérité, sur un ton monocorde qui me berce, le même qui ne l’a jamais quitté depuis mon arrivée : « Le style est la première chose que les gens voient. Le mien dénote une certaine ouverture d’esprit. » Pour cet enfant du rap, initié dès le plus jeune âge par un de ses oncles, s’approprier le look de la rue est l’unique moyen de s’y faire accepter. Aujourd’hui et plus que jamais, le compositeur néo-classique parvient à réconcilier avec brio l’univers du luxe et celui du rap et à s’attirer les grâces de la nouvelle école française des rappeurs. Scylla, NTO, Isha… tous s’arrachent sa mélodie, faisant le choix de rompre ouvertement avec les codes du romantisme pour s’inscrire dans un genre issu de l’imaginaire de Sofiane Pamart. Dans ses écouteurs passent du rap, de ses doigts naissent l’amour, la colère, l’espoir. « Ma musique fait écho à ma vie », confie le pianiste qui dans le même temps autorise le tutoiement à se hisser entre nous. Une vie faite de persévérance qu’il partage et sème volontiers autour de lui.
Dans le public, ô combien éclectique, la plupart des spectateurs reçoivent ses messages. « À la fin des concerts, des gens me confient avoir eu une révélation. J’ai permis à certains de persévérer dans leurs instruments de musique respectifs, ou de révéler une part immergée d’eux-mêmes. » Sofiane Pamart contamine par son ambition, ne serait-ce qu’au sein de son cercle familial. Sa sœur Lina, à la harpe, l’accompagne sur son dernier album, « Letter ». Chez les Pamart et notamment pour leur mère, il fut impensable qu’ils ne sachent jouer d’un instrument. Il fut tout aussi indiscutable, et cela ils l’ont choisi, de ne pas viser l’excellence. Seul le frère, bondissant avec eux sur le couloir de la réussite, leur a laissé la musique. Il prendra un chemin, quand on y pense, si proche du leur : la voie futuriste des nouvelles technologies. Sofiane Pamart pratique assidument, quasi-quotidiennement, l’art de l’auto-persuasion. Il se répète et fredonne en cadence les messages positifs, comme il l’a fait pendant une vingtaine d’années, sur son clavier du conservatoire. Vingt ans de formation classique et autant de travail acharné.
Serait-ce là une manière, ce passé fait de rigueur et d’exigences, de garder la face, malgré le flirt permanent de son esprit avec l’au-delà, sa musique cosmique transperçant les nuages ? Au risque de perdre les pédales, explique-t-il, il « s’accroche aux gens qu’il aime, ceux dont le regard ne change pas et qui parviennent à le ramener à son authenticité. » À deux doigts de remplir les tribunes de Bercy au mois de novembre, le pianiste avait tout le temps de perdre pied. Or, sa profonde nature est bel et bien ancrée en lui et il n’y a qu’à voir sa fascination devant le public qui l’admire, sa façon de ne pas y croire – malgré l’imprécision du regard – digne de celle d’un enfant, dans tout ce qu’il y a de plus pur et de plus innocent.
Son cerveau ne cesse de se projeter à l’automne : « J’ai mille idées en tête, mille idées de mise en scène foisonnantes et je ne parviens pas encore à me décider. » Dans l’imaginaire de Sofiane Pamart, les notes virevoltent du désert du Sahara au royaume de glace du Grand Nord et sa lumière phosphorescente, où il lui est arrivé de poser son Bechstein, en pianiste tout terrain. Le sable et la neige, union de matières organiques. Sofiane Pamart œuvre en parfaite osmose avec ces trésors terrestres épargnés par le passage de l’homme, la main de l’homme. Comme un premier voyage dans la lune, il s’offre le luxe de briller sur ces « no man’s land » si vivants d’être morts déjà.
Toc, toc. Si le rêve éloignait la réalité, celle-ci refait surface sans prévenir. Il est temps de taire cette symphonie. Mais tandis que le voyage prend fin, Sofiane Pamart nous surprend encore. « As-tu toutes les photos dont tu as besoin ? Autrement, je t’invite à me suivre dans mes répétitions. » En deux temps, me voici sur les planches, face aux tribunes encore dénuées de vie du grand théâtre, capturant son reflet sur un piano étincelant.
Quelques heures plus tard, les projecteurs coloraient le visage et les mains d’un Sofiane Pamart muet, silencieux. Vêtu d’un kimono à motifs asiatiques retombant sur le sol, il affiche une posture digne sous son chapeau blanc du jour, dont la pureté renvoie à celle des grues japonaises présents sur le long voile de soie.
On le devine ému lorsqu’il salue le public aussi coi, aussi troublé que lui, avant de se rasseoir. Le concert se déroule comme un voyage onirique où les larmes, comme l’esprit, s’échappent et où le temps, lui-même, rend l’âme.
Sofiane Pamart, « LETTER »
Le 17 novembre 2022 à l’Accor Arena de Bercy
Photos : Romain Garcin
Journaliste et photographe, Charlotte partage ses bons plans food et musique, à Paris et ailleurs
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