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L’homme d’argile : pas si bête

Avec L’homme d’argile, son premier long-métrage, la réalisatrice Anaïs Tellenne confronte une artiste réputée au gardien esseulé du manoir où elle réside. Un choc des cultures et des sentiments tout comme le portrait – salutaire – d’un homme qui passe pour un « monstre ».

A côté de sa mère à la langue bien pendue, Raphaël (Raphaël Thiéry) a des airs de géant. Il est borgne, à première vue renfrogné, mais sous ses airs de « géants des forêts », il cache une personnalité sensible, mélancolique et mélomane. Il a en charge de garder le château d’une riche famille. Un soir, Garance (Emmanuelle Devos), l’héritière, artiste de renom, débarque sans prévenir. L’existence de Raphaël va en être bouleversée.

Garance (Emmanuelle Devos)

Mélange des genres

Les premières notes de L’homme d’argile pourraient faire penser à une comédie burlesque qui flirte avec Tati. Le personnage incarné par l’impressionnant Raphaël Thiéry chasse la taupe dans un concert drolatique d’explosions de cratères. Il a un côté taiseux et rustre dont profite une postière aux fantasmes de kidnapping. « La vie me paraît un enchevêtrement de genres » explique la réalisatrice Anaïs Tellenne dont c’est la première réalisation après une série des courts. Son film passe donc de l’humour – les rapport avec la mère et ses propos souvent implacables – à la poésie, de la polissonnerie (le rapport SM entre Raphaël et une postière amoureuse) à une réflexion bouleversante sur la naissance de l’amour et la solitude chez l’homme. C’est l’émouvant et salutaire point fort du film. A l’heure d’une mise en pièce effrénée du « mâle », c’est une femme qui siffle la pause en peignant – comme Garance le sculpte – un cœur et une âme sous la trogne.

Choc des acteurs

Si la réalisatrice intellectualise son propos (références à Jean Vilar, à Jean Cocteau, à Paula Rego, à Sophie Caille, à Edvard Munch dans ses interviews), L’homme d’argile brille au contraire par la simplicité et la beauté de son récit, des sentiments qui mis en jeu. C’est presque une révélation d’adolescent – celle du premier amour – qui vient toucher l’homme fourbu, transformé en jeune Werther par le regard posé sur lui par une artiste renommée. Choc des cultures – la rencontre entre le garde-chasse et une faune mondaine venue saluer la nouvelle œuvre de Garance vise juste – mais aussi, face caméra, de deux fascinants comédiens. D’un côté le débutant Raphaël Thiéry, « gueule absolue », quelques courts-métrages à son actif, de l’autre Emmanuelle Devos, comédienne accomplie. Elle a joué le jeu du premier film et y laisse pleinement son empreinte, à la fois personnage libre, charnel et vénéneux. A eux deux, ils forment un tandem d’artistes qui se comprennent sans réel aveu, s’admirent mutuellement et se déchirent sans véritable enjeu. Le film balance ainsi brillamment entre le conte – dont Anaïs Tellenne était férue enfant – et le roman initiatique, celui d’un être, à la vie orchestrée par la musique et la nature, qui découvre de sentiments inédits envers une femme inaccessible. C’est simple, drôle, élégiaque et même, par fulgurance, bouleversant. L’homme d’argile, un modèle de premier long-métrage.

L’homme d’argile d’Anaïs Tellenne avec Emmanuelle Devos, Raphaël Thiéry, Mireille Pitot… Durée : 1h34. Sortie le 24 janvier. L’HOMME D’ARGILE de Anaïs Tellenne – Bande-annonce (youtube.com)