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Pierfrancesco Favino « Je me sens un peu frustré »

Pour la sortie de son dernier long-métrage, Dernière nuit à Milan, polar impeccable dans lequel il campe un flic aux abois poursuivi par la mafia chinoise, Edgar a eu le plaisir de rencontrer Pierfrancesco Favino. Star italienne (Romanzo criminale, ACAB, Le Traître…), l’acteur brille autant sur le plan international (Anges & Démons, World War Z…). Entretien.

Le commissaire Amore (Pierfrancesco Favino), un flic exemplaire mais pas si tranquille…

Comme dans Romanzo Criminale ou Le Traître, votre personnage du commissaire Amore dans Dernière Nuit à Milan a gravi les échelons de la société en venant d’un milieu populaire. Ces choix sont-ils liés à votre propre ascension ?

Non. Je suis issu de ce qu’on appelait la « petite bourgeoisie », la classe moyenne italienne. J’ai toujours vécu, enfant, éloigné des quartiers populaires. Je ne les ai connus que plus tard, lorsque j’ai pris mon indépendance, dans les premiers endroits où j’ai vécu. Mais ce n’était pas ce que vous appelez ici la « banlieue ». Je vis à Rome et, à Rome, les différentes classes sociales se mélangent encore. Ma famille vient du Sud de l’Italie qui reste, comme vous le savez, moins avantagé que le Nord. Peut-être que mes choix viennent aussi un peu de là. Quelque chose de sanguin. Il faudrait que j’y réfléchisse.

Dernière Nuit à Milan est-il une modernisation des fameux poliziotteschi, les polars italiens violents des années 70 ?

Je ne pense pas qu’Andrea Di Stefano, le réalisateur, ait eu cette idée en tête. S’il fallait trouver des racines à notre intrigue, j’irai plutôt les chercher du côté d’Alfred Hitchcock. Si vous les regardez, encore aujourd’hui, les poliziotteschi sont bien plus violents que Dernière Nuit à Milan. Et puis, c’était principalement des films d’action virils.

Comment en êtes-vous venu à aimer le cinéma ?

J’ai commencé avec les comédies italiennes. Elles étaient très populaires à l’époque. Je devais avoir cinq ou six ans lorsque mon père m’a amené pour la première fois voir un film de Terence Hill et Bud Spencer. Je regardais aussi les comédies de Toto à la télévision. Pour moi, c’est le plus grand comédien que nous n’ayons jamais eu. Mes goûts ont naturellement évolué dans mon adolescence. Grâce à une professeure d’anglais très cinéphile qui m’a appris que le cinéma pouvait être autre chose qu’un simple divertissement. J’ai alors découvert Pasolini, Kurosawa, Hitchcock Scorsese et Fellini bien sûr.

Au sujet de Dernière nuit à Milan : « Les spectateurs italiens n’ont plus l’habitude de voir un film de genre aussi bien mené, ficelé. Comme si ce n’était plus « normal » de vouloir faire du polar de qualité. »

Nous voyons débarquer sur les écrans français nombre de films italiens extraordinaires. Alors, le cinéma italien souffre-t-il, oui ou non ?

Vu de l’extérieur, il y a de quoi penser que le cinéma italien déborde de talents. Ce qui est vrai. Ce n’est pas pour rien que nous avons eu trois films italiens cette année en compétition à Cannes. Le problème, si cela en est un, c’est qu’il n’existe pas en Italie de système qui nous unisse. Qui nous représente comme une force à l’étranger par exemple. Tout cela reste assez disparate. Personnellement, je pense que l’idée d’un cinéma italien, comme celle d’un cinéma français ou espagnol a tendance à disparaître. Il n’y aura bientôt plus qu’un cinéma. Global. Et je peux dire la même chose du cinéma américain. De quand date le dernier grand film américain ? Traverse-t-il une crise pour autant ? C’est une atmosphère générale, je pense. Nous traversons une période d’interrogation et d’angoisse culturelles profondes. Quelles histoires faut-il raconter aujourd’hui ? Et comment peut-on faire pour qu’elles restent connectées avec le public ?

Et pourtant, vous multipliez des projets assez remarquables…

J’ai beaucoup de chance de travailler, c’est vrai. Mais j’ai toujours en moi cette ambition de faire des films qui marqueront profondément les gens. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’une forme d’immobilisme. Mon objectif est de faire des films qui restent dans les esprits. Et ce n’est pas une question d’ego. Rien de narcissique là-dedans. Je suis peut-être de la vieille école, mais je garde en moi cette idée que si vous faites quelque chose, il faut que ce soit significatif. Que cela serve à faire évoluer, à améliorer le monde autour de vous. Or, pour l’instant, je me sens un peu frustré. Pas vous ?

Trouvez-vous que le cinéma manque de « sérieux » aujourd’hui ?

Vous pouvez faire du divertissement mais encore faut-il qu’il soit de qualité. Et je veux faire de la qualité. Je cherche des projets de qualité. Parce que c’est ce qui reste à la fin. Il y aura toujours des fast foods et toujours de grands restaurants. Tout dépend de ce que vous préférez. Mais si tout devient fast food, vous risquez de perdre vite le goût des bonnes choses…

Sur son devenir au cinéma : « Quand un film sort sur les écrans, il a le pouvoir de toucher le public, de le faire vibrer. Si les miens ne le font plus vibrer alors forcément j’y réfléchirai. »

Vous avez dû souffrir à tourner pour Hollywood…

Non, j’ai aimé. Je n’ai aucune idée préconçue de mon métier. C’est vrai que mes propos peuvent parfois paraître rigides. Travailler pour les Américains est quelque chose qui me plaît beaucoup. Comme dans toute autre production étrangère. C’est une expérience et une chance de travailler avec de grandes stars qui se sont avérées également des êtres humains formidables. Depuis plusieurs années maintenant, j’ai décidé de me focaliser sur les productions italiennes. Tout simplement parce qu’elles sont plus proches de ma vision de l’existence. Quand vous êtes dans un blockbuster, évidemment, vous savez que vous serez vu partout à travers le monde. Mais je ne suis pas obsédé par la quête du succès. Ce n’est pas là que je trouve ma satisfaction. Bien sûr qu’un blockbuster, c’est très intéressant. Financièrement surtout. Je ne vais pas m’en plaindre. Mais je préfère privilégier le côté humain, les émotions. C’est une source incroyable d’inspiration et de possibilités.

Quelle fut la réaction du public italien devant Dernière Nuit à Milan ?

Il a été très agréablement surpris. De par sa qualité. Ils n’ont plus l’habitude de voir un film de genre aussi bien mené, ficelé. Comme si ce n’était plus « normal » de vouloir faire du polar de qualité. D’ailleurs, les critiques positives m’ont beaucoup fait réfléchir. C’est un peu triste, non ? Je fais ce métier depuis plus de trente ans. Je me suis demandé à quel point il avait changé. Et, surtout, si ce changement me plaisait vraiment. Ou, finalement, est-ce à moi de m’adapter à son évolution ?

Seriez-vous prêt à tout arrêter plutôt que de vous perdre dans des projets insipides ?

Je n’y ai jamais réfléchi. Quand un film sort sur les écrans, il a le pouvoir de toucher le public, de le faire vibrer. Si les miens ne le font plus vibrer alors forcément j’y penserai.

Dernière à Milan d’Andrea Di Stefano avec Pierfrancesco Favino, Linda Caridi, Antonio Gerardi… Sortie le 7 juin. 

Dernière Nuit À Milan – Bande-annonce VOST [Au cinéma le 7 juin] – YouTube