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Montres Richard Mille, interview exclusive avec Alexandre Mille

A 34 ans, Alexandre Mille, fait partie de la première nouvelle génération à poursuivre la saga Richard Mille. Forcément passionné d’horlogerie, mais aussi de cinéma, très pointu sur la vidéo et la modélisation 3D, il est pendant trois ans à divers postes de responsabilité de la société familiale aux États-Unis. Il revient en France en 2019 en tant que Directeur Commercial. Il a pour lui une forte expérience du marché en direct, avec les horlogers, les ateliers et les équipes marketing. En peu de temps il a su établir une véritable relation humaine avec tous les acteurs de la marque.

Pourrions-nous dire qu’il existe un univers propre à Richard Mille ?

Tout à fait ! Il y a chez nous une vraie volonté de s’extirper du réel et de se plonger dans un univers qui nous est propre. La première confrontation à cet univers se produit généralement lorsque l’on pose la première fois le regard sur une montre Richard Mille et qu’on la passe au poignet.  On peut alors observer toute la complexité de nos mouvements, les finitions extrêmes et la recherche de sens dans ses moindres détails. Le soin et le souci du détail que vous retrouverez dans nos boutiques est un prolongement de cet univers, tout comme pour nos événements avec cette volonté de partage et de convivialité.  Cette approche est très appréciée par nos clients. Ils sentent qu’ils font partie d’une famille, liée par une même passion.

Comment expliquez-vous la réussite aussi rapide de la marque en seulement vingt ans ?

Le travail, l’esprit de famille, l’authenticité, l’absence de compromis à tous les niveaux, la vision, la remise en question permanente sont autant de choses réunies dès le départ, dans la création de la toute première montre RM 001. Lorsque les premiers prototypes ont été présentés à nos partenaires distributeurs et au public, la réaction a immédiatement été extrêmement positive. La presse horlogère de l’époque considérait la RM 001 comme une révolution dans cette industrie. En 2001, tout cela était absolument extraordinaire, au point que la marque est passée de la présentation de quelques prototypes un jour au lancement de la production de 17 pièces le lendemain… En substance, la marque a su définir une identité, une position et une philosophie uniques sur le marché dès le premier jour, et par la suite, elle s’est développée continuellement sur ces bases chaque année.

Photo Fabien Nissels

Quel a été le déclic ?

Le déclic a été très simple : mon père avait travaillé presque toute sa vie dans l’industrie horlogère et joaillière, et il a fini par être contrarié de ne pas pouvoir trouver de montre à la hauteur de celle qu’il rêvait de posséder. Un jour, il a décidé qu’il était temps d’exploiter toutes les connaissances qu’il avait acquises pour créer une montre sans faire aucun compromis. La suite appartient à l’histoire, comme on dit…

Pourquoi pensez-vous que la première montre Richard Mille, la RM 001 Tourbillon, ait été aussi vite plébiscitée ?

Il s’agissait fondamentalement d’un « engin de course au poignet », c’est-à-dire qu’elle était la première montre du genre sur le marché qui utilisait dans sa fabrication, les mêmes principes de conception que ceux des Formule 1. À l’époque, c’était une idée tout à fait radicale, aucun produit n’était comparable sur le marché. Pour la toute première fois à cette période, le tourbillon de la RM 001, son boîtier et de nombreuses pièces du mouvement utilisaient le titane grade 5 et l’ARCAP. Le pont de tourbillon en forme de V était inspiré des fourches avant des voitures de F1, les profils de dents d’engrenages internes étaient quant à eux directement inspirés des systèmes de transmission automobiles, etc… 

J’ai l’impression qu’à ce moment de l’histoire horlogère, il y avait une forte envie d’autre chose, d’un changement de paradigme dans la création et dans la vision que l’on pouvait avoir de la montre en tant qu’objet. 

Chaque aspect de la RM 001 a été pensé sans concession. Le simple fait ce premier modèle soit un tourbillon résistant a un niveau encore jamais vu, n’aurait pas nécessairement suffit, le concept devait être pensé dans ses moindres aspects. 

Quel concept Richard Mille a apporté sur le marché des montres de luxe ? 

Un certain changement dans la perception du luxe et dans sa définition de ce qu’est le luxe (ou de ce qu’il devrait être). Par exemple, les gens considèrent naturellement les métaux précieux (or, platine, etc.) comme le matériau de référence de l’horlogerie. Pourtant, de nombreux matériaux de haute technologie provenant d’autres secteurs tels que l’aéronautique et l’aérospatial sont vraiment difficiles et coûteux à produire et à usiner. Un exemple représentatif est notre utilisation fréquente du TPT®. Il s’agit du résultat d’un processus de production très technique, qui offre une extrême résistance aux rayures et aux chocs, de la légèreté, des combinaisons de couleurs infinies – bien que tout cela, nous demande de nouveaux développements – des motifs de surface organiques et d’un confort au porté inégalé. Nous avons introduit dès le début, l’idée qu’une montre de haute horlogerie pouvait être légère et extrêmement résistante. L’idée collective étant jusqu’alors que ce qui était onéreux devait peser lourd, en d’autres termes, la valeur perçue primait… Nous avons depuis 20 ans maintenant démontré que cette idée était faussement fondée. 

Ce qui constitue le luxe doit évoluer avec notre environnement afin de rester pertinent au XXIe siècle. Pour cette raison, nous ne cessons jamais de nous remettre en question et de relever de nouveaux défis. 

Qu’en est-il des innovations introduites par la marque ? 

Cela prendrait bien trop de place ! (rire)  Si je dois sélectionner quelque chose, ce serait, qu’au cours des 20 dernières années, nous avons créé 14 mouvements manufacturés, mais aussi certains des garde-temps les plus complexes existants tels que la RM 039 Tourbillon Aviation E6-b Chronographe Flyback, composée de plus de 1 000 pièces, la RM 62-01 Tourbillon Vibrating Alarm ACJ, la RM 19-02 Tourbillon Fleur avec son automate pour la cage du tourbillon en forme de fleur, la RM 69 tourbillon érotique, pour ne nommer que quelques-unes de ces innovations toutes plus différentes les unes que les autres. Nous avons déposé près de 100 brevets tel le capteur de force g mécanique, plusieurs systèmes de remontage du rotor, une couronne bloquante pour plus de sécurité dans nos montres de plongée, un nouveau type de mécanisme pour les modèles heure universelle, un nouveau mouvement automatique chronographe à rattrapante, un système d’indicateur de couple, pour ne citer qu’eux. 

Quel lien lie encore aujourd’hui une RM 001 Tourbillon à la RM 71-02 Tourbillon Automatique Talisman de 2019 ?

Elles sont toutes deux très différentes, mais restent étroitement liées avec cohérence. En quelques secondes, quiconque les observe comprend que ce sont incontestablement les branches du même arbre, portées par un même désir de repousser toujours leurs limites. Cela est dû à la vision à long terme codifiée dès la RM 001 et tout l’univers qui est incarné dans cette pièce. Cette vision peut se transformer et se réinterpréter de centaines de manières différentes, sans jamais perdre l’esprit et l’identité de la marque. Malgré des différences nettes au niveau des proportions et de nombreux détails, ces deux montres partagent la même approche technique. 

La Richard Mille Team Racing composée d’une équipe 100% féminine.

La marque se distingue par une présence très forte dans le secteur de l’automobile. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cette influence est-elle si importante pour Richard Mille ? 

Tout d’abord, c’est la première passion de mon père depuis son enfance. Il est convaincu que les montres et les voitures sont toutes deux des machines et qu’il existe un nombre indéfini de principes et de concepts parallèles communs aux deux univers. Horlogerie et automobile se confrontent au sein de la marque à travers nombre de nos développements, partenariats, événements, mais également d’amis, de connaissances liées au monde de la course automobile. Cette attention portée à ce secteur était on ne peut plus naturelle, tout simplement en phase avec la personnalité de mon père. 

Les influences du milieu de l’automobile peuvent se ressentir à travers vos différents développements qui portent les noms de vos partenaires tels que Felipe Massa, Jean Todt, Romain Grosjean ou encore Sébastien Loeb. Pourquoi cette ouverture sur d’autres sports et notamment avec Rafael Nadal et les 7 montres qui portent son nom ?

L’histoire commence en 2010 avec la première montre conçue pour Rafael Nadal. Elle est née d’une sorte de défi entre mon père et Rafa. Celui-ci ne souhaitait pas porter de montre qui puisse constituer une distraction pendant ses compétitions, à moins qu’elle ne soit suffisamment légère et confortable pour se faire oublier sur son poignet. En fait, il a mis mon père au défi de créer pour lui un tourbillon incroyablement léger. Ainsi dit, ainsi fait ! L’édition limitée de cette première montre, la RM 027, qui pesait moins de 20 grammes et portée par Rafa lors de tous ces championnats, a été un grand succès. En conséquence, une série de montres ultra-légères et différentes sur le thème du tennis ont été fabriquées, inspirées par les exploits incroyables de Rafa sur les courts du monde entier.

Quelle est l’importance de la Richard Mille Team Racing pour vous ?

La course automobile est un sujet qui nous tient à cœur vous l’aurez compris (rire). Malheureusement, encore trop souvent aujourd’hui, ce sport est considéré par la majorité des gens comme purement masculin. Cela malgré l’émergence de femmes pilotes talentueuses au cours de la dernière décennie. C’est pourquoi mon père a œuvré pour le soutien apporté aux femmes dans ce milieu à différentes occasions lors de réunions de la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile), à travers son rôle de Président de la Commission Endurance. Cela a conduit à la création par Richard Mille d’une équipe 100% féminine courant en catégorie LMP2 et participant au championnat du monde de WEC. 

Grace au soutien de l’équipe de Signatech, nous pouvons gérer du mieux possible l’équipe en leur apportant tout le support dont elles ont besoin, que ce soit en termes de management, de technologie, en passant par une assistance technique de qualité. 

Aujourd’hui la demande est forte sur les montres de secondes mains. Vous avez récemment ouvert avec vos partenaires distributeurs, des boutiques pour couvrir ce marché….

Le marché dit « néo-vintage », qui englobe les montres produites au cours des 20 à 30 dernières années, est un domaine qui intéresse les collectionneurs depuis récemment et qui se développe rapidement. En 2015, avec la boutique NX One, notre distributeur au Japon a été le premier à développer le concept d’un réseau de distribution dédié aux montres Richard Mille de seconde main. Nous avons été ravis de la réaction de nos clients à la suite de cette ouverture. En outre, au cours des 8 dernières années, l’influence grandissante du marketing numérique a créé un désir chez les clients qui souhaitent vivre une expérience de meilleure qualité, en boutique. Nous avons aujourd’hui avec chacun de nos partenaires distributeurs des boutiques dédiées à la revente de montres de seconde main à Singapore, au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni. L’ouverture récente de Ninety à Londres interprète cette idée de néo-vintage pour le marché européen comme une expérience en boutique immersive et luxueuse pour nos clients, leur permettant de bénéficier des services du personnel formé par Richard Mille. Chaque montre acquise dans l’un de ces points de vente certifiés est accompagnée d’une garantie internationale de 24 mois, d’un certificat d’authenticité, d’un carnet d’entretien à jour, d’un écrin et d’un bracelet neuf.

Y-a-t-il des pays avec des amateurs plus connaisseurs que d’autres ?

Je ne pense pas qu’il y ait de différence réelle concernant l’intérêt que chaque pays cultive pour des modèles spécifiques. 

Au travail à Ninety Mount Street

Pensez-vous que cet engouement pour vos montres vient du fait que vous limitez depuis toujours considérablement vos productions. Les modèles étant rares, la solution est donc le marché de la seconde main ?

Je souhaite juste souligner que dire « limiter considérablement vos productions » implique en partie qu’il s’agit d’une action délibérée, or ce n’est pas le cas ! Ces limitations résultent de notre refus catégorique de faire des compromis dans nos processus de production, cela signifie que nous n’accélérerons ni ne développerons jamais la production sans garantie du maintien de la qualité. Pour répondre à la question, le choix de produire en quantités limitées vient principalement de notre volonté de nous renouveler en permanence, tout autant que nous sommes confrontés à la complexité de la production d’une montre Mille. Avant que nous développions notre propre réseau de boutique de seconde main, l’ultime solution pour un client à la recherche de l’une de nos pièces était de se rendre sur le marché gris. Désormais, ces pièces peuvent être disponible dans un environnement de vente certifié et sécurisé. 

Comment voyez-vous le marché de l’horlogerie dans 20 ans : 50% pour le neuf et 50% pour la seconde main ? 

Se projeter aussi loin dans l’avenir est difficile, car il faut tenir compte d’un trop grand nombre de variables. Il est évident que la croissance du marché de la seconde main est impressionnante. Je ne pense pas que la croissance sera aussi importante pour nous. 

www.richardmille.com

Publié dans Edgar Magazine Numéro 104